Botowamungu à AEM : « Nyoka Longo ? Mi-ange, mi-démon…»

Ancien d’ Elima (quotidien numéro un dans les années 70 et 80), Botowamungu Kalome a été co-fondateur avec d’autres journalistes de l’Association des Chroniqueurs de Musique du Zaïre et de l’Association des Chroniqueurs Culturels du Zaïre. Arrivé en France au début des années 90 après un détour par l’Autriche, il s’installe à Nantes où il anime depuis six ans deux émissions sur la radio Jet FM (91.2) : « Chemins d’Afrique », un magazine culturel qui traite également de l’actualité politique et « Ce soir au village », une émission consacrée aux musiques traditionnelles, populaires et anciennes d’Afrique et des Caraïbes. Sollicité pour animer le prochain concert de Zaïko (le 19 avril au Cabaret Sauvage à Paris), il évoque, pour Afriqu’Echos Magazine et MultiMédiaCongo, l’histoire de Zaïko et le personnage controversé de Nyoka Longo.

AEM/MMC : BOKAL, vous avez été sollicité pour être un des présentateurs du dernier concert de Zaïko en Europe avant son retour à Kinshasa, c’est une forme de reconnaissance pour le journaliste, le chroniqueur musical que vous êtes…

BOTOWAMUNGU (BOKAL) : Il ne faut pas inverser les rôles, ni verser dans la confusion des genres… Notre musique a trop souffert des journalistes qui se starisent, qui veulent briller, disputer la vedette aux artistes… pour que je considère cela comme une consécration, un plébiscite. Je n’ai pas remporté de kora, ni de grammy award, je trouve simplement la proposition sympathique, très amicale. Pour moi, c’est surtout un clin d’¦il de l’histoire parce que l’histoire de Zaïko, notamment, la scission de 1988 a constitué un des temps forts, un des événements les plus marquants de ma carrière journalistique.

AEM/MMC : Dites-nous en un peu davantage…

BOKAL : En 1988, quand Bimi Ombale et une dizaine de musiciens quittent Zaïko pour créer Zaïko Familia Dei, la presse et l’opinion publique instruisent un procès à charge contre Nyoka Longo qui passe pour un autocrate, un homme sans coeur, sans scrupule… et sans même la reconnaissance du ventre envers Ngoss connu comme un mécène doté d’une générosité sans commune mesure. On va fureter jusque dans sa vie privée, décompter ses liaisons en cours ou passées…

Bien que gravement mis en cause, Jossart refuse pourtant de répondre et de s’adresser à la presse. Toute la presse et l’opinion considèrent cela comme un aveu et/ou de la suffisance. Cela le dessert encore plus… jusqu’à un article que je signe dans le journal Elima, dans lequel je m’en prends à son entourage qui vilipendait « ces étrangers (des Gabonais) qui ont déstabilisé Zaïko ». Il y a même une tentative de politisation de l’affaire en appelant, sans l’avouer, à une certaine xénophobie. Dans cet article, j’avais dit globalement qu’au lieu de s’en prendre à Ngoss qui a gaspillé des millions pour Zaïko, il fallait plutôt dénoncer la gestion brouillonne de Jossart et le laisser-aller artistique qui avait gagné ce groupe.

Jossart en sera offusqué, et Moleka Nzoko Albert, qui le soutenait et qui avait tout fait pour ramener d’abord Poplolipo puis Manuaku dans Zaïko Nkolo Mboka, s’en plaindra auprès d’un confrère Kiadi-kia-Ntima. Ce dernier lui répondra qu’il n’y avait pas de mauvaise foi dans mon article et que j’étais en capacité, même contre tous, d’éclairer autrement le problème si on me donnait tous les éléments du dossier. Une rencontre entre Jossart et moi fut programmée. Le dimanche qui suivit, malgré plus de 40° de fièvre, je rejoignis Jossart à Nsele où Zaïko Nkolo Mboka était en maquis.

AEM/MMC : Et cela donna, la plus longue et dense interview que Jossart, réputé taciturne, n’avait jusqu’alors jamais accordée à la presse…

BOKAL : Oui, et surtout le début d’une enquête minutieuse sur les origines de Zaïko, l’arrivée et le rôle de Ngoss, les vraies causes de la scission… qui permit de retourner l’opinion et de fixer les mélomanes sur plein de temps forts et les coulisses de cet orchestre. A cette époque, la presse se divisait en pro-Jossart et en pro-Bimi ou plutôt en anti-Jossart. Quant à moi j’étais très bien accueilli et respecté par les deux camps qui n’avaient jamais remis en cause mon impartialité même s’ils ne partageaient pas toujours mes avis. Les internautes peuvent d’ailleurs trouver de larges extraits de cette enquête sur le site officiel de Zaïko (www.zaikolangalanga.com) dans la rubrique « Témoignage du co-fondateur André Bita ». Je suis allé jusqu’à retrouver les premiers documents de Zaïko : statuts, cahiers de cotisation, lettres… qui étaient soigneusement gardés dans une malle par la famille Mangaya.

Cette enquête m’a également permis de découvrir l’homme Nyoka Longo, très différent de celui que l’opinion et la presse présentaient… Ce n’est pas un saint, loin de là, mais j’ai découvert un homme généreux qui a amené Ngoss dans Zaïko au lieu de s’en accaparer, qui a fait bénéficier à ses collègues d’énormes largesses de ce dernier, un homme qui continuait à voler au secours des orphelins de DV Moanda, d’Alekanda, un homme qui n’avait jamais fixé un seul salaire dans Zaïko… Un respect mutuel s’est très vite installé entre nous.

AEM/MMC : Dites-nous alors, quel est le vrai Nyoka Longo entre celui que ses détracteurs dépeignent et celui que tu as découvert ?

BOKAL : Je ne me permettrais pas de décrire un homme que j’ai côtoyé uniquement dans un cadre professionnel. Un homme c’est tellement complexe et on a tous tellement de facettes selon où l’on est, que je ne m’accorderais pas la liberté de décrire l’homme Nyoka Longo. Par contre, ce qui me paraît sûr c’est que, contrairement aux apparences, c’est un homme sensible, humain, et que s’étant retrouvé orphelin très jeune et ayant très vite aussi perdu son unique soeur, Zaïko est devenu SA famille. Par la force des choses, il a vécu plus et a eu plus d’affinités avec des musiciens de Zaïko qu’avec ses cousins, oncles et tantes. Quant à ses défauts, je laisse la liberté aux lecteurs de faire un tri intelligent parmi les différentes choses que lui reprochent ses détracteurs…

En définitive, quoi que disent les uns et les autres, Jossart restera, pour la presse et les mélomanes, énigmatique, un brin ombrageux, « mi-ange mi-démon »…

« Sans les Atalaku, une création de Nyoka Longo, beaucoup de musiciens ne vendraient pas de disque en dehors de leur cercle familial… et à leur concert, il y aurait, en plus, juste leurs beaux-frères et belles-s¦urs »

AEM/MMC : Sur le plan artistique, après Zénith et la sortie d’Eurêka, comment jugez-vous artistiquement Zaïko ?

BOKAL : Récemment, un jeune chanteur français d’origine africaine, Yannick, avait pulvérisé les hits en reprenant une chanson de Claude François, une chanson plus âgée que lui : « Ces soirées-là »… Aujourd’hui, Zaïko est le seul groupe congolais et l’un des rarissimes sur la scène musicale africaine, à faire danser des adolescents avec des chansons plus vieilles qu’eux : Elo, Sos Maya, Etape, Sandra Lina, Muvaro…et les adultes sur les airs et les pas d’aujourd’hui.

Maintenant Nyoka Longo n’est pas un rentier et Zaïko ne peut se reposer uniquement sur son glorieux passé, il leur faut créer en permanence et surtout concilier les goûts de ces inconditionnels dont l’âge va de 15 à 55 ans, si pas plus… Globalement, ils y arrivent même si parfois il y a quelques ratés. Quant à Eurêka, pour le moment c’est l’un des meilleurs albums congolais sur le marché, si pas le meilleur en dehors de « Tempelo » de Tabu Ley qui me paraît être le meilleur album congolais de ces quinze dernières années… Mais dans l’absolu, je pense que Zaïko pouvait faire mieux. Bon il faut peut-être laisser le temps aux Lasers, les jeunes chanteurs recrutés par Jossart, de mûrir…

Je suis également content qu’à cette époque de programmation à tout va, Nyoka Longo ait introduit le ngongi, un instrument traditionnel dans la musique de Zaïko.

AEM/MMC : Comment sentez-vous le concert du 19 avril au « Cabaret Sauvage » ?

BOKAL : C’est un concert à ne pas rater pour plusieurs raisons. D’abord émotionnellement, la fin d’une tournée européenne est toujours un moment poignant pour les musiciens, mais aussi pour les mélomanes qui revoient pour un au revoir des artistes qui leur ont apporté un bout du pays, la chaleur, les dernières expressions ou danses en vogue au pays ; ensuite, artistiquement, au bout de la tournée, le groupe enrichit forcément son registre et veut frapper un grand coup ; enfin, avec les incertitudes qu’il y a pour obtenir les visas ou de retrouver la prochaine fois les mêmes musiciens (sans être un oiseau de mauvais augure), c’est intéressant d’assister à la dernière d’une tournée.

AEM/MMC : Un dernier mot ?

BOKAL : Juste rappeler à tous que Zaïko c’est 33 ans d’existence soit le plus ancien orchestre congolais en activité ; le phénomène atalaku sans lequel beaucoup de groupes ne vendraient pas de disques en dehors de leur cercle familial, c’est Nyoka Longo, et surtout tout ce que nous écoutons et dansons aujourd’hui, c’est la troisième école de la musique congolaise, il n’y en a pas encore une quatrième… et cette troisième école a été beaucoup formatée par Zaïko et Stukas Boys. | AEM|/MMC – Avril 2002