En trois décennies de pratique journalistique, je dois confesser ma première faute professionnelle du genre : à la fin de la prestation du duo Ferré Gola et Barbara Pravi, j’applaudis spontanément alors que je suis en reportage. On peut commander toutes les expertises qu’on veut mais parfois un détail, un seul, suffit pour exprimer l’essentiel : l’émotion générée par une œuvre d’art, une prestation artistique, un concert. Le dimanche 21 avril dernier, lorsque la chanteuse française rejoint Ferré Gola sur la scène d’Adidas Arena, le body langage des deux chanteurs et les regards qu’ils échangent montrent deux personnes habitées par des affinités musicales et heureuses de partager la scène. Dès qu’ils engagent la chanson, alors qu’ils viennent de deux univers différents, les deux chanteurs à voix tutoient les sommets et les frissons traversent la salle de part en part. Fait majeur d’un concert plein d’enseignements, de promesses mais également de questions.
Il est advenu comme un concert d’appoint, décidé dans la précipitation parce qu’un « guichets fermés » s’annonçait pour le samdi 20 avril 2024. Le chanteur décide alors de reverser tous les duos dans ce deuxième concert qui, au final, restera plus mémorable que son devancier. Hormis Koffi Olomide, les cinq autres invités jouent dans des registres très éloignés de la rumba pour espérer des prestations en duo abouties. Grosse surprise, Ferré Gola a navigué dans tous leurs univers avec une aisance inouïe et une générosité dont il s’est servi pour porter certains de ses invités. Koffi Olomide très chaleureusement accueilli était sur une pente raide, visiblement à la peine mais celui qu’on appelle Le Padre a assuré.
Jet 7, un vivier insoupçonné mais aussi repaire d’un robinet incontinent des obscénités et d’une danseuse aguicheuse
À l’époque des vagues des concerts congolais à l’Olympia, au Zénith et à Bercy, les producteurs allaient chercher la sono et les techniciens en Hollande pour la sonorisation. Ils soutenaient que, dans de grandes salles, ils étaient meilleurs que les Français pour sonoriser la musique congolaise qui ne serait pas simple à « régler » pour les Occidentaux. Comme pour le concert de Fally à U-Arena, on n’entendait que trois instruments: les synthétiseurs, les batteries et la guitare solo en plus d’une sorte de son sourd dans lequel manifestement sont engloutis tous les autres instruments.
La sonorisation n’a pas aidé non plus les chanteurs qui ont paru moins bons en choeur que quand ils chantaient individuellement. Quand ils enfourchaient le micro de Ferré, l’on découvrait la qualité de leurs voix et aussi leur bonne technique de chant.
Le tableau paraissait trop idyllique pour un groupe habité par le démon des obscénités : un atalaku (animateur) à la chevelure peroxydée s’est révélé un robinet prolixe d’insanités. En voilà un qui a pensé que les mélomanes avaient payé jusqu’à une centaine d’euros pour se voir raconter le déroulement de l’acte sexuel. Comme si ce n’était pas assez nauséabond, une danseuse qui paraissait être la cheftaine s’est mise à se palper le sexe alternativement avec la main gauche et la main droite comme une travailleuse de sexe entrain d’aguicher les clients sur un trottoir ou dans une vitrine.
Un disque d’or et même de platine quasi certain…
Les deux concerts d’Adidas Arena pourraient faire passer un cap à Ferré Gola, même le faire basculer dans une autre dimension. Une chanson en duo avec Barbara Pravi et c’est un disque d’or assuré en 6 mois et même un disque de platine. Artistiquement, le chanteur détient les atouts nécessaires mais doit revoir son fonctionnement et : arrêter avec la propension aux obscénités, faire renoncer la vulgarité et les insultes à tous ceux qui parlent en son nom, ne pas penser que tous ceux qui assistent à son concert sont des Golois, s’affranchir des dérives de sa concurrence avec Fally, repenser la présence, pas toujours pertinente ou utile, des danseuses sur scène… et résoudre artistiquement cette difficulté à réaliser des chansons références qui transcendent le cercle de ses inconditionnels.
Premier artiste à faire des live streaming avec des connexions records, premier artiste à ouvrir un store en plein Paris pour vendre ses produits dérivés, premier artiste dont le concert en Europe a été diffusé en public en direct, premier artiste à imposer un dress code dans une grande salle parisienne avec quasiment une personne au moins habillée en Adidas dans chaque m² de la salle, Ferré n’a pas atteint les sommets avec ces deux concerts mais vient clairement de montrer qu’il a des atouts pour grimper l’Everest.|Botowamungu Kalome, envoyé spécial (AEM), Paris