
K Kisangani 22 janvier 1957 – Vienne 24 août 2025, fin de la trajectoire d’un champion qui s’est éteint hier à la capitale d’Autriche. Je prends l’histoire à partir de ce soir de 1976 où, l’air ailleurs, mon frère aîné Vincent me confie une lettre « à remettre à Maman » avec une attitude du genre « ne pose pas de questions ». Vincent est connu de tout Kisangani sportif sous le nom de « Biko Botowamungu » catcheur et éphémère boxeur ; Biko étant la contraction de son nom de famille Botowamungu et de son postnom Ikomonya. Elève redoublant sa 4ème année scientifique à l’Athénée de Kisangani, Biko vient de décider d’arrêter l’école et de se rendre à Kinshasa pour devenir catcheur professionnel. Assommée, la maman va s’y résoudre non sans avoir freiné des quatre fers.
Le catch professionnel n’existait point à l’époque au pays, Kelekele Lituka qui venait de remporter le titre mondial des mi-lourds était en quasi-inactivité faute de compétitions. Le rêve de Biko parut objectivement fou, illusoire. Mais cela me renvoyait à une anecdote de notre enfance. Gamin, j’étais passionné par la lecture et pendant les grandes vacances, faute de bouquins, je prenais les cahiers de mes frères aînés et les dévorais. Sur l’une des pages restées vierges dans un des cahiers de la 5ème année primaire de mon frère Biko, il avait écrit : « Je suis le futur champion du monde de judo ». À l’époque, nous confondions, en effet, catch et judo.
Forcée au parricide de Kelekele Lituka
À Kinshasa, Biko est pris sportivement en charge par le champion du monde Kelekele Lituka et, pour sa part, l’homme politique Nendaka Bika décide de le prendre en charge et de l’envoyer en Europe faire carrière. La logique voulut qu’il y aille auréolé du titre de champion du Zaïre qu’il faudrait le disputer à… Kelekele Lituka. Le champion du monde, qui avait au moins le double de son âge, ne se présentera pas sur le ring. Après ce combat, Biko va s’envoler pour Berlin en Allemagne, jadis place forte du catch international.
Chaque année, il va faire des tournées dans une quinzaine de pays occidentaux en plus de l’Australie pour tenter d’arracher la couronne mondiale. En vain. Le catcheur congolais est convaincu d’en avoir les capacités sportives et ne supporte plus le système qui « désigne » le champion du monde. Son impatience le pousse à ne plus perdre des combats sur ordre. Lors d’une étape en France, des inconnus vont le menacer dans sa chambre d’hôtel avec une arme à feu. Sa réaction fut radicale : il abandonna le catch, quitta l’Allemagne pour s’installer en Autriche où il va se souvenir qu’il avait brièvement pratiqué la boxe à Kisangani sous la direction de Kwabima Mata Raoul.
Jeux olympiques de Séoul en 1988, rencontres avec Ali, Foreman, Don King et sparring partner de Mike Tyson, Dancing stars ( version autrichienne de « Danse avec les stars » ) sur une télé autrichienne…
Finalement, c’est en boxe amateur qu’il va connaître des moments de gloire. Cinq fois d’affilée champion d’Autriche poids lourds de boxe amateur, plusieurs fois en demi-finale de championnat européen, il va se qualifier à 31 ans pour les jeux olympiques de Séoul sous les couleurs de l’Autriche. Il devint une immense star dans ce pays et y rencontre Mohamed Ali, Georges Foreman et le promoteur Don King. À 38 ans, il se rêve une carrière en boxe professionnelle et signe avec Don King. Il va s’installer brièvement aux États-Unis où il va servir de sparring partner à Mike Tyson pendant une séance d’entraînement. C’était la dernière marche, le dernier « step » du sportif qui entrait dans la quarantaine.
Le champion est adopté et adulé par l’Autriche qui en a fait une star très médiatisée avec des partenariats avec Adidas, Queen Anne la célèbre discothèque de l’Autriche, un joaillier, une chaîne de vêtements, des actions de bienfaisance, des amitiés en politique… et va même participer à l’émission « Danse avec les stars » version autrichienne.
L’ultime combat contre la maladie
La soixantaine entamée, Biko va commencer à avoir des oublis, des trous de mémoire puis lancinant, le mal va prendre de l’ampleur au fil du temps commençant à lui voler de la vigueur. Lui qui avait placé toute sa carrière sportive à essayer d’envoyer les adversaires au tapis ou à les maintenir scotchés sur le tapis, lui qui, toute sa carrière, a tenu à ne pas être mis par terre, il a perdu peu à peu ses forces, a essayé de tenir bon, de tenir debout mais s’est affaissé peu à peu sans s’écrouler.
Du gamin du quartier Pumuzika à Kisangani qui découpait les photos de Mohamed Aki, de George Foreman, des catcheurs Jimmy Dula, Otto Wanz et qui les collectionnait au champion qui a eu la chance de s’asseoir avec eux, ses rêves fous se sont réalisés.
De toi, Vincent, Biko, on retiendra qu’il n’y a finalement pas des rêves fous. | Témoignage de Botowamungu Kalome (AEM)