
3 8 ans après sa mort, le marxiste Thomas Sankara demeure une figure emblématique sur le continent. Le 15 octobre 1987, 16 heures 20. Sur un pavillon du Conseil de l’entente (1) à Ouagadougou, le capitaine Thomas Isidore Noël Sankara, né le 21 décembre 1949 à Yako s’effondre, le treillis qu’il aimait porter maculé de sang, la tempe droite explosée et les bras en croix. Douze balles, dont deux en pleine tête, ont suffi à éliminer une légende. Il avait 38 ans, comme ses idoles Che Guevara et Lumumba.
L’homme intègre
Sankara était un homme intègre, vertueux et éclairé. Il prônait la promotion de la femme, la lutte contre la corruption, le panafricanisme et le développement de l’Afrique. Cet africanisme dérangeait l’Occident qui a armé des mains occultes pour l’éliminer.
J’ai eu le privilège de passer avec lui deux soirées, quelques mois avant sa mort. Comment ai-je pu avoir ce privilège ? Lisez cet extrait paru dans mon livre « Les confessions de journaliste ». (2)
Avec Thomas Sankara chez Buana Kabue
En déplacement, en 1987 à Ouagadougou, au Burkina Faso avec le groupe musical Afrisa International de Tabu Ley Rochereau, invité à agrémenter le Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou, FESPACO, je retrouve un vieux confrère Buana Kabue, ancien journaliste des revues « Zaire », à Kinshasa et « Jeune Afrique », à Paris. Il est devenu conseiller principal du président Thomas Sankara.
À Ouaga, Buana Kabue me demande d’inviter à titre privé Rochereau pour son anniversaire et m’annonce qu’il y aura un invité surprise. Il me souffle à l’oreille : il s’agit du président Thomas Sankara ! Il me prie de garder le secret. Je m’exécute illico. Mais, je suis obligé de vendre la mèche : Tabu Ley Rochereau ne se déplace pas pour prendre part à une fête d’anniversaire d’un citoyen lambda, si ce n’est une personnalité de la trempe du président du Faso.
Nous nous y rendons Rochereau, Modero Mekanisi, Lossikiya Maneno, moi-même et deux ou trois danseuses de l’Afrisa. Nous dînons seuls avec Buana Kabue, Sennen Andriamirado (mon regretté ami et journaliste à « Jeune Afrique ». Il y avait aussi le cinéaste congolais Kwami Nzinga.
Camarade Sankara nous avait rejoints chez Buana Kabue à bord de sa voiture, vêtu d’un survêtement de marque Tata accompagné de son chauffeur et d’un garde du corps. Sur le balcon, nous étions assis côte à côte, tenant les assiettes entre nos mains ; il n’y avait aucune table. Une simplicité incroyable. Notre distingué hôte, fanatique de Tabu Ley, s’essaye à la guitare et au chant. Pour faire plaisir à Tabu Ley, il demande à Buana Kabue de lui apporter une guitare. Séance tenante, il lui chante « Mokolo nakokufa » […] sous nos applaudissements.
Thomas Sankara nous fixa un deuxième rendez-vous, le lendemain au Mess des officiers où il avait l’habitude de se détendre en jouant à la guitare solo avec d’autres militaires !
Signalons qu’à l’issue de la soirée chez Buana Kabue, Thomas Sankara se confia à nous : « Le président Mobutu ne me supporte pas puisque je suis marxiste-léniniste. » Ce à quoi, Tabu Ley Rochereau promit de faire le nécessaire pour rapprocher les deux hommes politiques.
De retour à Kinshasa, nous tenons au courant le conseiller spécial Mokolo wa M’Pombo.
La suite ? Une visite de « Noble » Mokolo wa M’Pombo à Ouaga et l’arrivée de Madame Mariam Sankara à Kinshasa. Elle fera même une petite virée au grand marché de Kinshasa. Quelques mois après, nous apprendrons son assassinat, tel que décrit ci-haut. Triste !
À cette date anniversaire, je voulais perpétuer le souvenir de ce grand homme, héros de son pays et de l’Afrique.|Paul Bazakana (AEM)