
P rofitant de la journée de colère des étudiants de l’université de Kinshasa qui dénonçaient « la passivité du pouvoir de Kinshasa face à la persécution de leurs compatriotes résidant au Congo-Brazzaville par le régime de Denis Sassou Nguesso », un des opposants du régime de Kinshasa, Matthieu Kalele Kabila, s’est confié à Afriqu’Échos Magazine(AEM). Professeur à la faculté des sciences sociales, politiques et administratives, au département de sociologie et anthropologie, Kalele est également président d’un parti politique appelé Front pour un nouveau type de Congolais, FNTC en sigle et aussi coordonnateur adjoint d’une plateforme politique de l’opposition dénommée Forces acquises au changement, FAC en sigle.
AFRIQU’ÉCHOS MAGAZINE(AEM) : Virulent opposant au feu Laurent-Désiré Kabila dès son entrée en 1997, aujourd’hui vous l’êtes contre son successeur de fils ?
MATTHIEU KALELE KABILA(MKK) : Depuis Joseph-Désiré Mobutu, j’étais déjà opposant et virulent comme vous le dites. J’ai terminé mes études universitaires avec deux années de retard puisque j’avais fait la prison parce que j’étais leader estudiantin contre son régime. Je ne m’oppose pas aux individus mais plutôt aux régimes ou leurs systèmes. Mobutu avait mis en place un régime néo-colonialiste qui était pire que le colonialisme belge. S’agissant de Laurent- Désiré Kabila, il était applaudi à son arrivée par tous, moi y compris, mais j’étais contre la présence de ses accompagnateurs rwandais dont le comportement de colonisateur qu’ils affichaient ne plaisait point au peuple congolais. Les Rwandais ont fait pire que les Belges en RDC. Apres m’avoir jeté en prison une année durant à cause de ma lutte, Laurent-Désiré Kabila avait fini par m’approcher. Nous avions discuté longuement sur toutes les questions qui fâchaient l’opinion nationale. Je lui ai ensuite remis une grande documentation dont il avait besoin pour s’inspirer et il s’en est servi. Un jour à Libreville lors d’un séjour de travail, il a lu mot à mot mes textes devant ses pairs africains. Quant à Joseph Kabila, son régime nous déplait puisqu’il a fait reculer la RDC. Il a plongé le pays dans le néo-colonialisme comme Mobutu. Alors que L.-D. Kabila était sur la voie de reconquérir l’indépendance effective vis-à-vis de la Banque mondiale, du fonds monétaire international et de la fameuse communauté internationale, Joseph Kabila a fait de la RDC une colonie occidentalo-africaine et sert plus les intérêts des étrangers que des nationaux. La RDC a besoin d’un leadership fort que le peuple ne voit pas en Joseph Kabila. On assiste à un grand développement du banditisme tel que les bakata katanga au Katanga, les kulunas à Kinshasa et d’autres milices par ci par là qui opèrent librement depuis plusieurs années sans un mot de Joseph Kabila. Nous lutterons jusqu’au changement qualitatif en RDC même après Joseph Kabila si un président semblable le remplaçait.
AEM : Craignez-vous, comme beaucoup, que Joseph Kabila et ses alliés de la majorité modifient l’article 220 de la constitution pour briguer un nouveau mandat ?
MKK : Nous ne lui prêtons pas des intentions car nous détenons des preuves. La première, c’est le dernier livre du secrétaire général du parti de Joseph Kabila, PPRD, le professeur Evariste Boshab de la faculté de droit à l’université de Kinshasa. Dans son livre, Boshab déclare que si l’on ne modifiait pas l’actuelle constitution de la RDC, le pays disparaîtrait. J’étais convié à la cérémonie de présentation du fameux livre par son présentateur, le professeur Nyabirungu de la même faculté que l’auteur. Ouvertement, le présentateur nous a confirmé que le gouvernement de Joseph Kabila avait financé les travaux de l’ouvrage. Autre preuve, les déclarations médiatiques d’un secrétaire national du PPRD, Monsieur Claude Mashala qui l’a dit tout haut et qui a même lancé une pétition en circulation pour cette fin. Ainsi, Je demanderais à Joseph Kabila et à ses alliés de relire le préambule de la constitution afin qu’ils comprennent pourquoi elle a été faite. Elle a été élaborée pour éviter la dictature et ses avatars en RDC. Cette constitution fut promulguée librement, en âme et conscience par Joseph Kabila. Avant la promulgation, Joseph Kabila avec son homme Lambert Mende avaient battu campagne auprès de la population pour la faire accepter en 2005 et notre peuple a dit oui. Ensuite, Joseph Kabila avait juré de la respecter et la faire respecter. S’il la viole il sera traduit en justice pour haute trahison. Avec la limitation du nombre des mandats présidentiels et de la durée, c’est Joseph Kabila qui a sollicité l’accord du peuple par referendum hier et le peuple ne veut plus qu’on la retouche aujourd’hui pour faire de Joseph Kabila un président à vie. La province du Katanga a réuni plus 100.000 signatures dépassant la barre des 100.000 exigées par notre constitution, les deux Kivu aussi et 54.000 déjà à Kinshasa pour protester contre la démarche de Joseph Kabila et ses faucons. La constitution de la RDC a été ajustée en 2005 à l’âge de Joseph Kabila et le niveau d’études du président de la République n’a pas été pris en compte pour son plaisir. Il veut une autre modification après celle de 2010 qui a supprimé le second tour des présidentielles pour mieux tricher en 2011 ? Non, La constitution de la RDC ne peut pas être un costume sur mesure pour Joseph Kabila. Il doit savoir que l’alternance au pouvoir dans un pays est un attribut de la démocratie.
AEM : Iriez-vous jusqu’à penser comme une certaine opinion congolaise qui affirme que Joseph Kabila comprend mieux le langage des armes que les pourparlers autour d’une table ?
MKK : Le constat est vrai mais les leçons de l’histoire ont montré la force de la non-violence avec des grands qui ont fait plier des régimes comme Martin Luther King aux USA, Indira Gandhi en Inde, Mandela en RSA. Ce n’est pas étonnant car il existe ce genre d’hommes qui écoutent plus les armes que les pourparlers. Il y a deux types de changements dans le monde : Si à Cuba et en Chine le changement s’est fait par les armes, en Inde, aux USA, en Afrique du sud, en Tunisie ce fut par la pression populaire. Nous avons réussi à déboulonner Daniel Ngoy Mulunda, l’ami de Joseph Kabila de la tête de la commission nationale électorale indépendante (CENI) sans armes en main. Nous restons convaincus que son successeur, Apollinaire Malu Malu, président partial actuel de la CENI, Joseph Kabila et sa famille politique partiront par la forte pression populaire.
AEM : En tant qu’opposant, jouissez-vous de la liberté de mouvement à l’intérieur comme à l’extérieur de la RDC tel que le stipule la constitution ?
MKK : Je vous réponds non. Depuis juillet 2012, mon passeport a été confisqué par l’agence nationale de renseignements, ANR. La dernière fois que j’y étais, j’ai longuement discuté avec ses responsables. L’un d’eux m’avait signifié clairement que tant que eux, les tutsis dirigeront la RDC, jamais ils ne rendront mon passeport puisque je dénonce le comportement des Rwandais en RDC. Je lui avais rétorqué sur le champ qu’ils partiront bientôt de la RDC. Plusieurs tentatives de récupération s’étant soldé par des échecs, j’ai renoncé à toute démarche.
AEM : La République du Congo-Brazzaville vient d’expulser ou de pousser au retour plus de 100.000 Congolais de Kinshasa, comment analysez-vous cette situation ?
MKK : Premièrement, nous condamnons des violations très graves des droits humains par les autorités du Congo-Brazzaville dans ces expulsions massives. Il est normal que quelqu’un soit expulsé d’un pays pour une raison ou une autre mais cela doit se faire dans le respect des textes légaux en vigueur dans le monde. En 1999, sous le régime du Président Laurent-Désiré Kabila, au nom des deux pays, Gaétan Kakudji, ministre de l’intérieur de la RDC et Pierre Oba, ministre de l’intérieur du Congo-Brazzaville avaient signé une convention qui est encore en vigueur et qui stipule qu’avant de procéder à une expulsion d’un sujet de Kinshasa ou de Brazzaville, il faut d’abord prévenir le pays d’accueil. Le second fait que nous condamnons est la passivité des autorités actuelles de Kinshasa qui frise la complicité dans cette opération cruelle. L’un des rôles d’un gouvernement, selon la constitution, est d’assurer la protection des biens et des personnes. Il faut d’abord défendre, protéger votre compatriote avant de chercher à savoir s’il a bien ou mal agi au pays d’où il est expulsé. On a vu l’Union européenne dans le dossier des infirmiers bulgares en Libye, la même Libye dans l’affaire Lockerbie en Écosse, la France de François Hollande pour les ressortissants français arrêtés ici et là dans le monde. C’est très curieux de voir le gouvernement de Joseph Kabila croiser les bras trois semaines durant sans dire un mot ni réagir. Après, l’opinion a suivi les propos de Lambert Mende, porte-parole du gouvernement, selon lesquels le Congo-Brazzaville avait le droit d’agir ainsi au nom de sa souveraineté. Avec amertume, la population vient de réaliser qu’elle n’est pas protégée.
Ainsi, le héros n’a pas mis ses pieds à Kinshasa jusqu’à ce qu’il a défait le M23. Depuis ce jour-là, Mamadou Ndala était le mal aimé des autorités de Kinshasa.
AEM : Une autre affaire, un peu plus ancienne, vous a passablement révolté : l’assassinat du colonel Mamadou Ndala, le tombeur des rebelles du M23 ?
MKK : Au sujet de ce héros de notre pays que le peuple congolais a perdu, il faut que je vous dise qu’il y a eu toute une histoire avant son assassinat. Tous les officiers de l’armée nationale qui ont tenté d’écraser les bandits armés venant du Rwanda dans les provinces du Nord-Kivu et Sud-Kivu comme les généraux Mbudja Mabe, Nabiola se plaignaient toujours de recevoir un ordre de reculer chaque fois qu’ils étaient à un pas de neutraliser l’ennemi. Avec le concours d’un gouverneur de province du Sud-Kivu, feu le général Mbudja Mabe avait organisé une perquisition ayant permis une cache d’armes rwandaise dans les locaux de la Monuc (l’actuelle Monusco). Conséquence de cet acte loyal, le gouverneur fut limogé et le général Mbudja retiré de cette province pour être transféré à Kinshasa où il mourut peu de temps après. Après Mbudja Mabe, le général Nabiola qui osa, lui aussi, faire des exploits pour le bien de la population, avait subi des menaces de ceux qui lui ordonnaient de reculer chaque fois qu’il voulait écraser les envahisseurs rwandais. Il eut la vie sauve en escaladant le mur de sa résidence de Goma. Quant à Mamadou Ndala, la population du Nord-Kivu lui avait demandé de ne jamais obtempérer aux ordres de replier venant de Kinshasa s’il progresse bien vers l’ennemi en ces termes : « Kinshasa ne nourrit ni ne paye nos militaires qui sont avec vous ici mais plutôt nous-mêmes ». Énervées par cette exhortation de la population victime du Nord-Kivu, les autorités de Kinshasa avaient rappelé le colonel à Kinshasa. Heureusement, la population avait assiégé le tarmac de l’aéroport de Goma le jour du décollage de l’avion avec le vaillant commando à bord vers Kinshasa, la démarche des autorités de Kinshasa échoua. Ainsi, le héros n’a pas mis ses pieds à Kinshasa jusqu’à ce qu’il a défait le M23. Depuis ce jour-là, Mamadou Ndala était le mal aimé des autorités de Kinshasa. Seule, sa dépouille mortelle fut acheminée nuitamment à Kinshasa à l’insu des Nord-Kivutiens par le pouvoir en place. En vue d’empêcher la population de Kinshasa de rendre hommage à leur Rambo national, le régime plaça le corps de Mamadou au Camp militaire Colonel Kokolo à côté de ceux des soldats tombés lors de l’attaque du siège de la radio-télévision nationale le 31 décembre 2013, en lieu et place du stade ou du Palais du peuple où tout Kinshasa voulait se rendre. Je suis l’un des rares politiciens civils à m’être rendu ce jour-là dans ce lieu, au camp militaire. Pire ni le Premier ministre, ni les parlementaires, ni le Président de la République Joseph Kabila ne se sont rendus sur le lieu comme le fait Obama aux USA ou François Hollande en France en pareilles circonstances. Je ne raconte pas des histoires car je suis un politicien chercheur. Enterré dans un mauvais coin du cimetière de Kintambo, deux semaines après, une simple pluie a suffi pour que le corps de Mamadou Ndala traîne comme une chenille au soleil. J’ai vu de mes propres yeux ce que je vous dis.
AEM : Un mot pour clore cet entretien ?
MKK : Nous sommes dans un combat politique. Le pays marche mal, nous n’avons pas d’autre choix que de persévérer dans le combat jusqu’à ce que les Congolais, pareillement aux autres peuples du monde, accèdent au bonheur. Nous devons mettre fin à la nouvelle colonisation kabiliste, à la misère et à la pauvreté. Il est anormal de constater que seuls les étrangers s’enrichissent en RDC même à peine arrivés, grâce à la complicité des hommes du pouvoir actuel.|Propos recueillis par Nicaise Muzany(AEM), Kinshasa, RDC