À bientôt 80 ans, Walungila Mamona Michel dit Pasteur King est toujours actif après plus de 65 ans de carrière. Ce pionnier de la batterie, jazzman de formation, qui a formé de grands batteurs de la musique congolaise, souhaite créer une école où il formerait les jeunes à la batterie et aux tumbas avant de tirer sa révérence. Le batteur s’en explique et raconte sa longue et riche carrière qui s’est déroulée entre Kinshasa et Kisangani.
AFRIQU’ÉCHOS MAGAZINE (AEM): Qui est Walungila Mamona Michel?
PASTEUR KING: Je suis artiste musicien, né à Kinshasa le 29 septembre 1939.
AEM: Comment êtes-vous venu à la musique ?
Pasteur King: J’avais débuté comme joueur de la caisse claire dans la fanfare de l’église Armée du salut. Comme je maitrisais la caisse claire, je voulais faire davantage. Près de chez nous, au croisement des avenues Kato et Kasaï, Tino Baroza, Taumani, Roitelet et Goby de la France jouaient à Ndombele Bar. J’ai commencé à les côtoyer pour parfaire ma formation. Etant trop petits, avec un ami, on montait sur des casiers de Coca Cola pour jouer. J’y rencontrais aussi Nico et Dicky Baroza qui venaient aussi regarder ces grands jouer. Après quelques jours d’observation, ils m’avaient accepté au sein du groupe. Je n’étais pas rémunéré je jouais pour le plaisir. Après ce groupe, je suis allé trouver Monsieur Engondoko, président fondateur de l’orchestre Jazz Venus qui m’intégra dans son groupe.
AEM: Qui faisaient partie de cet orchestre ?
Pasteur King: J’ai une photo du groupe lors de l’inauguration, à Matadi, de la Boite de nuit de Monsieur Bastos ‘’Whisky’’ ; il y avait Emmanuel comme soliste, Windy contrebassiste et moi au patengué. Le groupe ne disposant pas d’une batterie, je craignais de perdre ma rapidité acquise en jouant à la caisse claire.
AEM: Qu’est-ce qu’il s’est passé ensuite ?
Pasteur King: Je suis allé à Amouzou Bar qui possédait une batterie mais incomplète. Là, j’avais croisé Kator et il m’a amené chez Ferruzi Camille qui m’avait demandé si je serais à la hauteur. J’avais répondu oui. Je suis resté quelques mois dans ce groupe et j’avais décidé de le quitter pour rejoindre Jazz Venus. Lors d’une prestation à Bandal, j’avais rencontré les musiciens de l’orchestre Congo Rock d’Augustin Bakome qui était associé à un Belge, Monsieur Henri Bischock. Ils jouaient à Show Boat en ville et chaque dimanche à Bandal chez André, le frère de Bakome. Après le concert Monsieur Bakome m’avait proposé d’intégrer leur groupe alors qu’ils avaient déjà un autre batteur, Lions. Ils m’avaient fait passer un test qui se révéla concluant et pour parfaire mon art, ils m’avaient inscrit chez Monsieur Alario, qui fut professeur de musique ; il formait des batteurs, des pianistes, des guitaristes, des saxophonistes et des trompettistes. Bon nombre d’apprenants étaient des expatriés et il y avait peu de Congolais car ils trouvaient embêtant d’apprendre la musique. Après cette formation, je suis rentré chez Monsieur Augustin Bakome continuer mes prestations.
AEM: Vous avez repris à jouer de la batterie ?
Pasteur King: J’avais retrouvé le batteur Lions et après deux concerts, il m’avait proposé, comme on avait scindé l’orchestre en deux, de rester jouer en ville alors que lui devait aller à Bandal. Comme j’étais resté seul batteur, Monsieur Bakome m’avait demandé d’être régulier et ponctuel. Et pendant les jours de repos, on faisait la ronde de boîtes de nuit de la ville pour jouer. On allait voir les City Five qui jouaient à Afro Mongambo et Gérad Kazembe qui jouait à Wififi. Souza, de City Five qui me trouvait aguerri, m’avait demandé de les dépanner de temps en temps. Là-bas, j’avais croisé le soliste Raymond Brainck avec qui je jouais du Jazz dans les boîtes de nuit de la ville. A l’époque, on m’avait proclamé le meilleur batteur de la capitale des années 57-60. Beaucoup de groupes voulaient me recruter.
AEM: Et pendant ce temps-vous n’aviez formé personne ?
Pasteur King: Pour me perfectionner, Monsieur Augustin Bakome m’avait donné une batterie et les jeunes venaient de temps en temps chez moi. C’est les cas de Seskain Molenga et Makengo. C’étaient des jeunes de mon quartier. Eux jouaient de la rumba et moi du Jazz. Seskain observait comment je jouais et il s’est perfectionné après ; il avait ainsi intégré l’Afrisa de Rochereau. Pareil pour Duclos qui plus tard avait intégré l’Ok Jazz. Les deux avaient quelque chose de moi.
AEM: Comment vous êtes-vous séparé avec Augustin Bakome ?
Pasteur King: Un jour de mai 1960, Augustin Bakome m’avait dit qu’ils allaient ouvrir un casino à Lubumbashi parce qu’à Kinshasa, il y avait trop de taxes et il voulait m’y amener. Comme mes parents ne voulaient pas, il m’a construit une maison dans la parcelle familiale et il avait remis les clés à ma mère. Ils sont allés à Lubumbashi créer le Scotch Club.
AEM: Qu’avez-vous fait après ?
Pasteur King: Resté seul, je cherchais à intégrer un orchestre. Au même moment, Henri Tinapa, le grand-frère de Gracia Ndongala, avait besoin de moi et d’un chanteur pour aller jouer dans son orchestre à Kisangani. J’avais un jeune chanteur que j’encadrais qui s’appelait Courant, qui fut le créateur de l’orchestre Mosaka avant d’aller chanter chez Madiata. J’avais travaillé avec lui au Show Boat où on faisait du Nzong Nzing en ville dans des boîtes de nuit. Ndongala nous proposa d’aller à Kisangani et je me suis demandé si ma mère accepterait car mon père était décédé et elle était restée seule. Elle me dit que j’allais là où on tuait les gens. Je l’ai rassurée que c’était un Blanc qui avait besoin de nous et que rien de mal n’allait se passer. A notre arrivée en 1963, c’est Prozabel qui nous avait accueillis ; c’était un homme d’affaires et grand distributeur de disques chanté par l’Ok Jazz. Nous lui avons expliqué que nous étions là sur invitation d’un Blanc.
AEM: Comment s’est passé le début de votre séjour à Kisangani ?
Pasteur King: Nous avions fait un long répertoire et je jouais de la batterie en même temps que je chantais avec Courant. Petit à petit, on travaillait avec Gracia et Prozabel n’avait pas abandonné son projet de débaucher Courant ; il lui avait promis la gérance d’une station d’essence qui ne lui appartenait pas. J’avais fait comprendre à Courant que nous étions sous contrat et que nous devions le respecter. –
AEM: Qu’est qui a fait que Courant retourne à Kinshasa ?
Pasteur King: Lors d’une production au Camp Ketele, Courant, qui faisait du Johnny Halliday, a roulé jusqu’aux pieds d’un militaire qui lui avait asséné un coup de pied aux côtes. Suite à cet incident, Courant avait pris la résolution de rentrer à Kinshasa me laissant seul à Kisangani.
AEM: Votre orchestre se rendait-il à Kinshasa ?
Pasteur King: Oui, nous étions invités à l’inauguration de la Foire internationale de Kinshasa et plusieurs fois lors des congrès du MPR à N’sele. À part ça, nous accompagnions le président Mobutu lors de ses voyages en Afrique de l’Est : Ouganda, Kenya, Rwanda, Burundi, Tanzanie.
-Vous aviez quel niveau par rapport aux orchestres de Kinshasa ?
Pasteur King: À Kinshasa, c’était l’Ok Jazz et à Kisangani Singa Mwambe, on jouait et la musique congolaise et les variétés internationales. Quelquefois, nous faisions des concerts jumelés avec l’Ok Jazz.
AEM: Qui étaient les musiciens de Singa Mwambe ?
Pasteur King: On avait deux chanteurs kinois, Kirk et un autre que j’avais ramené de Kinshasa, Guvano, Moreau Maurice et Mangenza. Lors de l’inauguration de la turbine du barrage hydraulique sur la rivière Tshopo, Franco appela Josky et lui demanda d’écouter comment « ces jeunes gens jouaient » et c’était en présence de Simaro qui connaissait les capacités de Ndongala Gracia.
AEM: Avez-vous sorti des chansons ?
Pasteur King: J’avais sorti Sidonie makila mabe, Bandumba mavwanga et Wele en kikongo ; il y avait aussi les chansons d’autres musiciens. Ndongala Gracia était venu à Kinshasa trouver Franco pour nous aider à sortir nos chansons. Il les avait sorties chez Pathé Marconi sous son label et on n’avait reçu aucun droit. Nous sommes descendus à Kinshasa pour nous affilier à la Soneca et connaître nos droits. J’avais touché seulement 10 Zaïres pour Sidonie makila mabe ; rien du tout pour les autres chansons.
AEM: Qu’est-il advenu après ?
Pasteur King: Après l’entrée de l’AFDL, Ndongala est venu à Kinshasa et je suis resté avec l’orchestre ; les gens m’enviaient. Les rumeurs s’étaient vite répandues selon lesquelles on m’avait tué car les rebelles avaient saccagé ma résidence et pillé tous mes biens. Après la mort de ma femme, j’avais pris la résolution de rentrer à Kinshasa après plus de 40 ans passés à Kisangani.
AEM: Une fois à Kinshasa, qu’avez-vous fait ?
Pasteur King: Je me demandais si tous ceux que j’avais formés viendraient me voir. Le premier, ce fut Lusamba, un bon guitariste, connu de tout le monde et un bon jazzman. Tous les deux nous avions monté un orchestre avec les étudiants de l’INA et la chanteuse Princesse Joss Kalim. J’avais dû arrêter pour cause de maladie. Après mon rétablissement, Guvano a fait appel à moi comme je l’avais aussi fait pour lui en intégrant son orchestre : je joue aussi dans l’orchestre Ambiance Kin Malebo. Je continue à encadrer les jeunes notamment un, fils du chanteur Otis qui joue avec Guvano et un autre, Patrick O Poeta.
AEM: Vous aviez aussi joué dans Vox Africa de Bombenga ?
Pasteur King: Oui, lors de mes vacances à Kinshasa en 1967, Papa Noël est venu me chercher car ils avaient un batteur qui n’était pas à la hauteur. On m’avait amené chez Denis Ilosone en présence de Bombenga. Papa Noël avait pris la basse et j’avais pris la batterie ; nous avions joué un morceau de Jazz et je faisais des solos à la batterie. Bombenga émerveillé, avait renvoyé le fameux batteur.
AEM: Avez-vous enregistré des chansons avec Vox Africa?
Pasteur King: Nous avions enregistré Zaïre eboya yo, Koko ya Moseka, Congo nouveau, Afrique nouvelle, Ma belle, etc. ; on avait enregistré au moins 8 titres. Lors d’un concert au Bar Au Grillon, les murs s’étaient écroulés tellement il y avait du monde.
AEM: Justement parlez-nous du concours sur la chanson Congo Nouveau, Afrique nouvelle .
Pasteur King: Trois orchestres avaient concouru : African Fiesta National, Vox Africa et Negros succès. L’œuvre de Negro succès était sans impact mais la chanson de Vox Africa était la meilleure. Comme Roger Izeidi avait des entrées dans le sérail du pouvoir, son influence avait peut-être joué sur le choix d’African Fiesta National.
AEM: Pourquoi avez-vous quitté Vox Africa ?
Pasteur King: Tout d’abord j’avais un contrat avec mon orchestre de Kisangani, ensuite nous n’étions pas bien rémunérés. Ajouter à cela, le départ de Sam Mangwana pour African Fiesta National, qui partait à Montréal. Ayant constaté le désordre, j’avais pris la résolution de rentrer à Kisangani où j’étais bien accueilli.
AEM: Quel message pouvez-vous adresser au public ?
Pasteur King: Je suis encore apte à jouer et à transmettre mon expérience sauf que je manque des équipements : batterie, tumbas, bongos. Je peux même créer une école de musique dans ma parcelle pour former des jeunes. L’année prochaine j’aurai 80 ans et je dois passer le relais. Je demande aux jeunes de beaucoup apprendre, de se perfectionner. Aujourd’hui, ils ont la chance d’apprendre même sur Internet. Quand on m’avait proclamé meilleur batteur, j’avais environ 20 à 23 ans. |Propos recueillis par Herman Bangi Bayo (AEM)