
« Ces Zaïrois là, on va les tuer » : voilà la sanction promise à Brazzaville aux kuluna, ces délinquants violents qui opèrent en plein jour et à visage découvert à Kinshasa, s’ils étaient interpellés au Congo-Brazzaville. Où certains d’entre eux se sont exportés pour exercer leur métier. Cette sanction extrajudiciaire et expéditive, ce n’est pas une milice ou une population excédée qui la promet, mais bien le directeur général de la police nationale du Congo-Brazzaville, le général Jean-François Ndenguet. Ces propos incendiaires sont contenus dans un document vidéo non daté qui circule sur Internet posté simultanément avec un autre qui montre des soldats du Congo-Brazzaville déshabiller totalement en plein jour des prostituées originaires de la RDC voisine. Une grossière séance d’humiliation, cependant dénuée de violence physique, menée par des militaires débonnaires et goguenards. Images insoutenables pour les Congolais de la RDC qui rappellent le racisme anti-Zaïrois des années 80 où à Brazzaville, il était courant d’entendre : « Boma Zaïrois, tika nyoka » (Face aux deux, tue le Zaïrois mais épargne le serpent).
Dans les deux cas, ce sont deux institutions importantes qui sont en cause : la police et l’armée chargées d’assurer indistinctement la sécurité des biens et des personnes se trouvant sur le sol du Congo mais également de veiller à ce que leur dignité soit sauve en toute circonstance. Et pourtant, elles sont, pas seulement coupables de voies de fait, mais d’incitation de fait à la xénophobie, au racisme envers les Congolais de la RDC. Cependant, ça serait intellectuellement aberrant de ne pas prendre les deux situations dans leur globalité et disséquer des éléments qui auraient favorisé, pour ne pas dire permis, leur survenance.
Néanmoins, se poser les bonnes questions
Le directeur général de la police nationale du Congo-Brazzaville ainsi que l’armée de ce pays n’ont aucune excuse sur ces deux situations et Denis Sassou- Nguesso s’honorerait à sanctionner ces faits et à veiller à ce qu’ils ne se reproduisent pas. Cependant, sur les deux rives du fleuve Congo, personne ne doit faire l’économie d’une analyse lucide et courageuse. L’honnêteté intellectuelle et la lucidité commandent, en effet, à poser un certain nombre de constats :
— Le général Ndenguet n’appelle pas au meurtre des Congolais mais menace de « tuer ces Zaïrois là », pas tous les Zaïrois, mais les Zaïrois kuluna.
Le général Ndenguet dénonce l’exportation par la RDC de ses kuluna vers Brazzaville : « Ba kuluna wana basala mobulu na mboka na bango » (Que ces délinquants exercent leur violence et commettent des crimes chez eux, pas chez nous ».
— Le discours n’est pas anti-Congolais (RDC), mais uniquement anti-Congolais kuluna et d’ailleurs, le général appelle en même temps à la fin des tracasseries administratives et policières que subissaient les originaires des pays de l’Afrique de l’ouest.
— C’est à travers deux composantes minoritaires de sa diaspora que les Congolais de la RDC ont été attaqués : les kuluna et les prostituées. Il n’y a certes pas de sot métier mais ces deux activités sont loin d’être celles qu’un pays entend recevoir dans les bagages de l’immigration.
— La traversée des kuluna à Brazza est le débordement d’un phénomène qui illustre l’impuissance piteuse de la puissance publique de Kinshasa face à des voyous qui narguent impunément Joseph Kabila matin et soir.
— Les militaires coupables de l’humiliation des prostituées originaires de la RDC ne font, en aucun moment, allusion à leur origine étrangère et en aucun moment, ils ne les brutalisent physiquement. Ils leur reprochent de ne pas se respecter et de faire accuser les militaires de passivité. Cependant ils recourent à de viles méthodes, très loin de laisser supposer une forme d’humanité ou d’éducation nourrie par la culture africaine.
Ces constats posés, l’on ne peut pas objectivement déplorer une flambée de la xénophobie. Dans les deux cas, la nationalité des kuluna et des femmes prostituées ne semble pas, d’une manière indiscutable, être la cause de leurs tourments liés plutôt à leurs activités. L’on ne peut, bien sûr, occulter la réalité du sentiment anti-Congolais de la RDC et l’on doit, à juste titre, craindre que l’attitude de Ndenguet et des militaires « déshabilleurs » ne contribuent à les entretenir et à les exacerber. En même temps, la responsabilité du pouvoir de Kinshasa, dans la nature et la qualité de ce que la RDC envoie chez ses voisins, doit être évaluée et susciter des réponses judicieuses. ■Botowamungu Kalome (AEM)