Peu disert sur ses qualités et sur les hommages qui ont accompagné sa carrière, ne comptez pas non plus sur Bwanga Tshimen pour établir une hiérarchie entre tous les talents que le Ballon d’or a côtoyés au TP Mazembe et au sein des Léopards. Tout juste a-t-il consenti, dans un fou rire et à coups d’anecdotes hilarantes, de raconter ou de confirmer des faits incroyables concernant les immenses joueurs qu’ont été Mokili Saïo (sur la photo : accroupi, 6e à partir de la gauche), Jeff Kibonge (4e) et Robert Kazadi(debout, 9e à partir de la gauche). Trois légendes.
Pour intégrer les Léopards, il ne fallait pas seulement avoir un talent au-dessus de la moyenne mais surtout un mental solide : « Le sélectionneur pouvait convoquer jusqu’à 80 joueurs qui arrivaient de toutes les provinces. La sélection se faisait de la même façon : plusieurs tours de terrain, puis quelques exercices physiques, suivis des oppositions 11 contre 11 à l’issue desquelles la liste était établie. ».
Peu ou pas du tout de temps pour s’acclimater pour les nouveaux : « Les entraînements n’étaient pas à huis clos, il y avait autant de spectateurs que lors des grands matches. Et je ne peux vous décrire les cris qui descendaient des tribunes quand Mokili Saïo, Kibonge, Mayanga ou Tshinabu enrhumaient les défenseurs… Ces grands joueurs s’échauffaient à part, difficile pour les nouveaux de les approcher, ce qui entretenait le mythe et le côté intimidant qui allait avec. Dès que ces stars apparaissaient, tu avais l’impression que certains joueurs allaient faire sur eux, ils avaient les jambes en coton et semblaient jouer sur de la neige… Comme les joueurs de l’intérieur arrivaient avec des billets aller-retour qu’ils détenaient par devers eux, certains craquaient, prenaient leurs valises et repartaient sans prévenir personne, ni l’entraîneur, ni la fédération (Rires) »
« À Lusaka, alors qu’il faisait un match démentiel, des personnes accompagnées des policiers sont entrées sur le terrain pour fouiller Kazadi dans l’espoir de trouver des fétiches sur lui… »
« Ce n’est pas lui qui faisait les compositions de l’équipe ou qui définissait la tactique, mais c’était lui le commandant en chef, le commandant des opérations, son poste lui permettait de tout voir et il donnait de la voix pour prévenir ou remettre les choses en place », c’est en ces termes que Bwanga a évoqué son frère aîné Robert Kazadi, Ballon d’argent, gardien du TP Mazembe et des Léopards, deux fois champion d’Afrique avec son club et deux fois également avec les Léopards.
S’il a accepté d’évoquer ce « grand-frère et ami en même temps » avec qui il a tout partagé et tout gagné, Bwanga a montré tout de même beaucoup de « pudeur » pour parler de ses qualités footballistiques. L’ancien international s’est contenté de confirmer et de détailler, avec un éclat de rire , une anecdote que nous lui avons rappelée : « C’était démentiel, du jamais vu et je m’interroge toujours sur le laxisme de l’arbitre et de la CAF. Nous jouions un match officiel à Lusaka, c’était un match aller, nous menions et Kazadi faisait un match extraordinaire : il arrêtait toutes les tentatives zambiennes. Puis, en plein milieu de match, nous voyons un groupe de trois ou quatre personnes, accompagnées des policiers, qui entrent sur le terrain et se mettent à fouiller Kazadi. Dans leur esprit, Kazadi jouait forcément avec des fétiches qui lui permettaient de ne pas encaisser de but. Après une fouille infructueuse, ils sont répartis sans que l’arbitre ne bronche. Jusqu’à la fin du match, la cage de Kazadi est restée inviolée » ;
« Pour ma part, j’avais été sélectionné la première fois et je suis devenu titulaire à la place de Mange sans avoir fait un seul entraînement avec les Léopards »
Avec une beaucoup d’honnêteté, Bwanga concède avoir bénéficié des circonstances très favorables pour intégrer, en 1968, l’équipe nationale, néanmoins après avoir été « poussé, la première fois, par sa conscience à décliner une première sélection » : « Juste avant la phase finale de la coupe d’Afrique des nations remportée en 1968 par les Léopards, j’étais à Kinshasa avec le TP Englebert. Un jour, j’accompagne mes coéquipiers qui étaient sélectionnés à un entraînement, arrivé là-bas, ces derniers me présentent au sélectionneur adjoint Nzoï. Celui-ci me demande alors si j’avais mon équipement pour pouvoir m’entraîner avec l’équipe nationale. Comme je ne l’avais pas, il me demande d’aller le chercher afin d’être testé. Le temps ne le permettait pas car je serais revenu trop tard pour m’entraîner. Malgré cela, il me propose de faire partie des 22. Après réflexion, j’avais décidé de ne pas accepter cette proposition car j’avais estimé objectivement que je n’aurais pas ma place parmi les onze, ceux qui jouaient étaient clairement au-dessus de moi. Je ne voulais pas partir en touriste ». C’est ainsi que Bwanga ne fit pas partie de cette campagne victorieuse.
Mais c’était sans compter avec la détermination de Nzoï de l’incorporer coûte que coûte dans la sélection : « La force des Léopards, à l’époque, résidait dans la multiplication des matches amicaux. Juste après cette la CAN 68, Nzoï m’a convoqué pour un match amical. J’avais la grande chance de pouvoir jouer avec trois défenseurs sur cinq qui étaient des gars expérimentés et en plus coéquipiers chez Englebert : Katumba (libéro), Mukombo (latéral) et Kazadi (gardien). Depuis ce match amical, je suis resté titulaire jusqu’à ma retraite internationale. Après l’élimination peu glorieuse de la coupe du monde 1974, Muana Kasongo qui est devenu sélectionneur m’a sollicité mais j’ai refusé car j’estimais avoir fait mon temps… » |Botowamungu Kalome (AEM)
À suivre : Bwanga raconte la Coupe du monde 74