Je vais finir par m’aligner sur la croyance populaire qui soutient que les fétiches congolais perdent leur force mystique dès qu’ils traversent un cours d’eau. L’équipe nationale de la RDC qui avait participé à la phase finale de la coupe du monde 1974, et qui était repartie sans marquer le moindre but, avait été accompagnée par de féticheurs. Dont le nombre aurait avoisiné la quinzaine. Et pas n’importe lesquels selon le vice-capitaine de l’époque Bwanga Tshimen : « Effectivement, suite à un entretien avec le général Mobutu, les dirigeants du foot congolais et les présidents des grands clubs avaient carte blanche pour monter une sélection très puissante des féticheurs… ».
Ce qui n’était alors qu’une rumeur, comme ces innombrables bonnes blagues que raffolent les Congolais, est avérée : la science mystique congolaise avait été mise au service du prestige des Léopards. Tout serait parti du président de la République Mobutu Sese Seko. Aurait-il induit consciemment cette opération ou simplement accédé à une demande inattendue des dirigeants du football national ? « Juste avant la phase finale de la coupe du monde de 1974, une fois la qualification acquise, le président de la République a réuni les dirigeants de la Fécofa et des grands clubs de foot pour réfléchir sur les moyens de rendre possible une grosse performance des Léopards en Allemagne. Il est sorti de cette réunion, outre diverses dispositions pratiques, la décision de constituer un pool de féticheurs puissants pour accompagner l’équipe nationale. Les grands clubs ont alors prêté leurs féticheurs ».
Le « Oui, mais… » de l’entraîneur Blagoje Vidinic à propos des féticheurs
Alors que l’avis de Blagoje Vidinic, le sélectionneur de nationalité yougoslave, n’avait pas été sollicité, l’ancien défenseur international révèle la seule condition qu’il avait posée : «Vidinic avait tenu à préserver les joueurs d’une pratique qui ne lui semblait pas appropriée. Mais devant le fait accompli et la raison d’État, il exigea cependant que cela se fasse en dehors de l’équipe, sans la participation des joueurs aux différents rites. Nous avions pris le même avion avec ces féticheurs qui avaient été logés dans un autre hôtel. Bon, vous connaissez la suite (sourire malicieux)… »
Ce mondial avait révélé ainsi l’écart qu’il y avait entre le Zaïre de l’époque et les autres nations du football en termes de préparation psychologique mais également de la diététique : « Le DC 10 qui nous avait transportés était chargé d’une importante quantité d’aliments du pays : feuilles de manioc, m’fumbwa, bitekuteku, farine de manioc, du poisson fumé et salé… »
« Les Yougoslaves auraient pu marquer même 15 buts, mais ils avaient levé le pied »
Le score de 9-0 infligé aux Léopards par la sélection yougoslave restera comme le symbole d’une participation caractérisée par des initiatives folkloriques tout le long d’une préparation qui a manqué de sérieux et de professionnalisme. Pour expliquer cette déroute, la rumeur a livré plusieurs versions des faits : des séances mystiques avec des féticheurs qui se seraient éternisées, des ingérences dans le domaine technique car l’entraîneur yougoslave aurait été soupçonné de favoriser la sélection de son pays d’origine, une fronde pour des primes non versées… C’est cette dernière version que confirme le vice-capitaine : « C’est l’affaire des primes qui avait miné nos maigres chances face à une équipe qui avait même levé le pied… »
« C’est Jean Kembo qui avait mené la fronde concernant les primes »
Au cœur de ce mélodrame la prime de participation attribuée par la Fifa aux 16 sélections qualifiées : 750.000 dollars : « Le premier match contre l’Écosse, nous le perdons par 2-0 mais la presse nous plébiscite comme la meilleure équipe de cette première journée. Entretemps, nous n’avons aucune nouvelle de cette prime qui devait nous être redistribuée. Ça murmure un peu dans le groupe mais on est loin d’une grogne. Très vite, le mouvement va prendre de l’ampleur sous l’impulsion de Jean Kembo. Dès qu’il s’agissait de l’argent, vous pouviez compter sur la détermination et l’entregent de ce joueur (Rires). Les discussions ont été très longues et nous sommes allés nous coucher vers 2 heures ou 3 heures du matin. Et puis, il fallait faire un peu de route pour arriver au stade. Ce n’était pas la meilleure façon de préparer ce deuxième match de poule. Face à ce qui était une des meilleures équipes européennes, je peux vous garantir que le score aurait pu être pire, mais les Yougoslaves avaient levé le pied, c’était flagrant ».
C’était la fin d’une époque, le terminus pour une génération et le début du désamour avec le Président-Fondateur : « Mobutu ne voulait plus entendre parler de nous et pour justifier le non-versement de la prime, il a évoqué la colère des militaires qui ne supportaient plus, selon lui, les cadeaux somptueux faits aux Léopards qui recevaient primes, maisons et roulaient carrosse ».
C’était aussi le clap de la fin pour le Ballon d’or Bwanga Tshimen qui décida, peu de temps après, de ranger à jamais les crampons et de quitter le pays pour la France où il a passé ses diplômes d’entraîneur. |Botowamungu Kalome (AEM)