
L a RDC et le Rwanda sont les deux principaux exportateurs mondiaux de coltan (…) Les exportations de la RDC ont atteint 1918 tonnes en 2023, contre 2070 tonnes pour le Rwanda ». « Selon les statistiques officielles des deux pays, compilées par l’Agence Ecofin, c’est la cinquième fois depuis 2014 que le Rwanda exporte plus de coltan que son voisin congolais ». Situation curieuse car le sous-sol du Rwanda ne regorge même pas d’un kilo de ce minerai. Un début d’explication de ce « miracle », RFI signale que : « Lundi 30 septembre 2024, Bintou Keita, la cheffe de la Monusco, a déclaré que le M23, le groupe rebelle, soutenu par le Rwanda, a renforcé sa mainmise sur les territoires de Masisi et Rutshuru, prenant ainsi le contrôle de la production de coltan ». La radio française ajoute qu’en 2023, année de la création du groupe armé « Alliance du fleuve » de Corneille Nangaa et son alliance avec M23, les exportations rwandaises de coltan ont bondi de 50 %. Des chiffres à corréler fatalement avec ceux-ci : En 2024, l’Organisation Internationale pour les Migrations a recensé, dans le Nord Kivu et le Sud Kivu, près de 3,9 millions de personnes poussées à l’errance entre forêts et camps de fortunes par les attaques de l’alliance ADF-M23.
Premier pays exportateur, en 2024, du coltan arrivé sur son sol par la contrebande, le Rwanda ne s’embarrasse ni des principes de droit ni des considérations morales concernant ce commerce qui se fait au prix du sang des centaines de milliers de Congolais et de l’errance de 4 millions d’entre eux. Le Conseil de sécurité des Nations-unies s’en émeut régulièrement… mollement, sans plus.
Corneille Nangaa justifie la souffrance infligée aux Congolais dans le nord-est
C’était le patron de la centrale électorale sous Joseph Kabila et lorsque Félix Tshisekedi avait été élu pour son premier mandat. À la fin de ce premier mandat, Corneille Nangaa a commencé à instiller des déclarations laissant penser à une élection truquée du candidat de l’Udps, puis un matin les Congolais l’ont découvert en treillis militaire et à la tête d’un groupe armé dénommé « Alliance du Fleuve ».
D’un air martial surjoué et avec une gravité grossièrement théâtrale, Corneille Nangaa expliqua pourquoi son groupe armé allait semer la désolation dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu : « Notre pays est dans un état d’effondrement et d’inefficacité d’apporter des réponses aux attentes de ses citoyens. (…) Nous n’avons qu’une seule solution : le (Félix Tshisekedi) mettre hors d’état de nuire. C’est la demande sociale congolaise aujourd’hui ». Autre argument « massue » présenté par l’ancien président de la Céni (Commission électorale nationale indépendante) : « En 5 ans la dette nationale a atteint 10 milliards de dollars fruit de la corruption se rapprochant dangereusement du niveau d’avant l’annulation de 2008 » et selon lui, seules les armes sont susceptibles d’enrayer cette spirale. Aussi, Nangaa tient pour responsable le président de la RDC de l’exil intérieur de « 7 millions de déplacés »… des localités et dans les zones occupées et administrées par l’alliance ADF-M23.
Le M23 ethnocentré et taillée en phalange
Concernant le CNDP, mouvement rebelle qui s’est mué en M23, dans un dossier publié en 2012 par l’Institut de la Vallée du Rift (www.riftvalley.net), Jason Stearns note : « (…) environ 80% de ses plus hauts responsables étaient originaires de la communauté Tutsi, et le mouvement a bénéficié du soutien régulier des élites politiques et commerciales Tutsi de la région ». Pas étonnant qu’à partir de ce moment, ce mouvement passe dans l’opinion congolaise pour une organisation tutsi servant de paravent aux appétits territoriaux et économiques gloutons du Rwanda. Les records d’exportation du coltan par le Rwanda tendent à l’attester comme cet extrait d’un récent rapport des experts des Nations-unies : « Les experts détaillent les « incursions systématiques » des militaires rwandais sur le sol congolais, dont un millier seraient arrivés en République démocratique du Congo durant le seul mois de janvier 2024. Ils estiment qu’au moment de la rédaction de leur rapport (avril 2024), les troupes rwandaises « égalaient voire surpassaient en nombre les combattants du M23 », estimés à quelque 3 000 hommes ».
La télévision française France 24 rappelait de son côté, en date du 8 juillet 2024, que « Depuis plusieurs mois, les États-Unis, la France, la Belgique et l’Union européenne demandent au Rwanda de retirer ses militaires et ses missiles sol-air du sol congolais et de cesser son soutien au M23 – demandes restées jusque-là sans effet ». En vain et sans conséquence pour le pays de Paul Kagame et pour cette rébellion ouvertement phalange de l’armée rwandaise.
Pour légitimer son existence et son action depuis 2012 et qui est à l’origine des dizaines de milliers de morts au bas mot ainsi que des millions de déplacés, au moment de la présentation de son alliance avec l’ADF, le M23 affirme sobrement que leur objectif est de « mettre fin à une gouvernance chaotique et prédatrice du pays qui tue ses propres citoyens, les contraignant à opérer un choix honteux et inacceptable entre l’exil et la caporalisation ».
Pendant que Nangaa fait tuer sans état d’âme, l’opposition préfère regarder ailleurs, de son côté Félix Tshisekedi dérape encore et encore…
Les chiffres sur le coltan en début d’article sont éclairants : les exportations rwandaises sont dopées à l’hémoglobine des Congolais et Nangaa est le bon saigneur pour cela. De leur côté, l’opposition ne s’émeut guère de cette guerre qui consacre une annexion de fait. Et quand l’opposant Claudel Lubaya rencontre Joseph Kabila récemment à Addis-Abeba, les anciens compagnons du Pprd évitent les mots guerre, agression et n’en désignent nullement les responsables. Les deux opposants ont été, cependant, prompts à identifier celui qui l’aurait aggravée : « Nous avons déploré la persistance de la crise sécuritaire qui sévit dans l’Est, aggravée par une gouvernance chaotique ». Joseph Kabila et Claudel Lubaya ont utilisé à l’identique un même élément de langage que le M23 lors de l’annonce de son alliance avec l’AFD : « gouvernance chaotique ».
En difficulté depuis sa première élection sur les plans militaire et diplomatique, le président Félix Tshisekedi aurait dû enfiler au moins le costume du rassembleur en misant sur l’unité nationale, manifestement c’est trop lui demander. Entraîné par de mauvais conseillers dans la voie d’une révision ou d’un changement de la constitution, le chef de l’État se montre allergique à la critique au point de traiter le clergé catholique de « sorciers en soutane » et en parlant avec légèreté de cette guerre comme d’une partie de football : « Match eza bien ».
Kagame n’en espérait pas tant car, pendant ce temps, le miracle du « coltan rwandais » se poursuit allègrement.| Botowamungu Kalome (AEM)