Hommage au Père Boka S.J., l’auteur-compositeur de « La Zaïroise » et de « La Congolaise »

Jossart Nyoka Longo, Président de Zaïko L.L

En Afrique , un vieillard qui meurt , c’est une bibliothèque qui brûle (Hampaté Bâ). Nous craignons que la mort du Père Boka S.J. en soit une de plusieurs volumes qui disparaisse malgré nos 46 ans d’indépendance et toute la technologie mise à notre disposition.

Je me permets de relever ce défi aujourd’hui , parce qu’il y a le côté artistique de ce théologien, professeur et chercheur que nous oublions souvent de mettre en évidence.

En 1971, alors que Zaiko Langa Langa n’avait que 2 ans, le Père Boka composa notre second hymne national, La Zaïroise , qui devait être interprété, pour la première fois, par le Président de la République lors de la cérémonie bâptisée « soirée de la zairoise ». Tous les grands musiciens du pays furent cordialement invités à partager le podium et les souvenirs sont gravés dans nos mémoires.
Trente cinq ans plus tard, l’auteur compositeur de La Congolaise et de La Zaïroise est rappelé à Dieu. Les musiciens congolais restent complètement indifférents. Personne n’a effectué le déplacement pour dire adieu à ce fils du pays à qui on a rendu un vibrant hommage plusieurs années auparavant. “Sic transit gloria mundi”.

Au nom de l’orchestre Zaiko Langa Langa et à mon nom personnel, je m’empresse de présenter à la famille du Père Boka S.J., à la compagnie de Jésus dont je suis moi-même le fruit, ( étant un ancien élève du Collège Boboto), nos excuses pour ce manquement. Nous mettons toutefois cette occasion à profit pour remercier notre ambassade à Abidjan/Côte d’Ivoire, sans oublier les autorités qui n’ont ménagé aucun effort pour négocier le rapatriement de cet artiste, patriote au pays bien aimé de ses aïeux.

Le père Boka était un virtuose de la musique .

Ses talents artistiques s’étaient déjà manisfestés depuis le petit séminaire St. Jean Berckmans de Lemfu, dans le Bas-Congo où il maniait l’orgue avec une aisance particulière. Ce n’est pas en vain que la direction de la fanfare de l’école lui fut confiée. Il était d’une intelligence telle qu’il excellait dans tout ce qu’il faisait. Nous comprenons tout de suite pourquoi il est devenu Jésuite. Ne voulait-il pas faire de Ad Majorem Dei Gloriam (A.M.D.G :pour la plus grande gloire de Dieu), la devise des Jésuites, une devise quasi personnelle ?

Patriote, il l’était sans conteste. Il l’a prouvé par sa disponibilité chaque fois que la nation lui demandait de rendre un service culturel, sans pour autant empiéter sur l’autorité de ses supérieurs religieux. Quelques cas frappants peuvent illustrer cette volonté inexorable de servir la nation, sans s’éloigner de sa vocation sacerdotale à laquelle il est resté fidèle jusqu’à sa mort.

Encore en formation en Belgique, il traduisit du kikongo en français 250 hymnes kimbanguistes dont « Dieu vient à notre secours », « persécusion au nom de Jésus », « Jésus ma liberté » et « ma victoire » etc. Est-il besoin de rappeler à nos frères et soeurs kimbangistes que c’est grâce à ce travail de titan que les autorités coloniales ont rapidement légalisé le kimbanguisme organisé en “Église de Jésus Christ sur la terre par le prophète Simon kimbangu”, alors qu’il le considerait jusque là comme un mouvement politique subversif, déguisé en activité religieuse ?

En 1960, A. Bolela et J.M. Gyese ( étudiants laïcs en Belgique) furent chargés par l’association des Congolais d’inviter le Père Boka à participer, en leur nom, au concours de l’hymne de l’indépendance du Congo. Le Père composa les paroles et la musique, puis il décida de joindre à sa signature le nom d’un laïc pour témoigner la bonne entente qui régnait entre les étudiants congolais, laïcs et ecclésiastiques. Il sollicita et obtint l’accord de J. Lutumba qu’il connaissait très bien. Une chorale composée de Jésuites flamands et soeurs africaines de saint André du diocèse de Kikuit réalisa une exécution modèle qui fut imprimée à Bruxelles sur un disque 45 tours. Ce n’est que plus tard qu’il sera adopté comme notre hymne national.

Mes modestes recherches sur ce septagénaire confirment que le père des hymnes nationaux avait un amour profond pour son pays et pour l’Afrique. C’est ainsi qu’a sa sortie d’hôpital en Italie il a accorda une interview aux étudiants de Regina Mundi /Italie. À la question de savoir quand il comptait regagner l’Afrique, il répondit : « Quand , par la grâce de Dieu, je poserai le pied sur le sol africain, surgira au fond de ma mémoire la voix de Mireille Matthieu. Quand on revient, aussi beau qu’il soit, le pays d’où l’on revient, mon Dieu, qu’il fait bon chez soi ! »

Tout récemment, dans son livre intitulé Théologie africaine : pour un christianisme de la onzième heure, il a réhabilité la chanson « nakomitunaka » de Kiamuangana Verckys.

L’ Éternel nous a repris ce grand artiste alors qu’il avait encore beaucoup à offrir à la nation, à l’Afrique, voire au monde. Dommage que nous, artistes musiciens n’ayons pas suffisamment tiré profit de ses dons. Mais nous espérons nous rattrapper en léguant à notre postérité, l’immortel serment de liberté du 30 juin. L’un des voeux du Père Boka S.J. sera ainsi exhaussé . | Jossart Nyoka Longo, Président du groupe Zaiko Langa Langa. (in AEM)