RDC : Les assassinats et la maltraitance impunis des enfants dits « sorciers » évoqués au Parlement européen

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U n matin à Kinshasa, au pied d’un immeuble, gît, dans le sang, le corps d’une fillette de 10 ans, les mains ligotées dans le dos. Accusée de sorcellerie par sa tante, elle a été jetée du quatrième étage. Dans le Bas-Congo, une « prophétesse » angolaise a brûlé vifs quatre jeunes enfants pour les délivrer de la sorcellerie. Dans la banlieue de Kinshasa, deux adolescents ont brûlé vif un autre jeune de 8 ans accusé d’être le sorcier qui a tué leur sœur, une étudiante décédée des suites d’une courte maladie. D’autres enfants, des centaines, accusés aussi de sorcellerie subissent des sévices physiques dans les églises de réveil et finissent par passer aux « aveux » qui confortent le « pouvoir » d’obscurs pasteurs… Pas un seul auteur de ces crimes et maltraitances n’a été poursuivi par la justice congolaise. D’où l’indignation, sous forme d’interrogation, du député européen Charles Goerens « Kabila ne contrôle rien ! Contrôlerait-il encore même Kinshasa ? ». L’homme politique belge participait à la conférence sur « Les enfants accusés de sorcellerie en Afrique subsaharienne » organisée, le 15 juin dernier au Parlement européen à Bruxelles, à l’initiative de la députée Véronique De Keyser.

Comment un tel sujet a-t-il pu atterrir au Parlement européen ? Véronique De Keyser s’en explique : « Ce phénomène touche, depuis plusieurs années, nos pays européens via les citoyens européens issus de l’immigration africaine et les citoyens de la diaspora. Il s’agit d’une atteinte grave aux droits de l’enfant et aux droits de l’homme que nous ne pouvons tolérer. Il importe à l’Union européenne d’étudier le phénomène et d’apporter des solutions ». Non sans préciser qu’il ne s’agissait pas de stigmatiser particulièrement la RDC ou de jeter l’anathème sur toutes les églises de réveil. Et de fixer les contours de la rencontre : « Les dispositifs légaux et judiciaires pour la protection des enfants portent-ils spécifiquement sur ce phénomène, sont-ils applicables et appliqués ? Quel rôle pour la justice internationale en cas de carence des systèmes judiciaires nationaux ? ».

Cette problématique a attiré du monde : 140 demandes de participation pour une salle de 120 places. Des participants venus de tous horizons ont répondu au vœu de François Zimeray, ambassadeur français des droits de l’homme qui a appelé à « ne laisser aucun angle mort dans l’analyse de ce phénomène et de tant d’autres qui s’y greffent ». Universitaires, représentant de l’Unicef, journalistes et représentants des ONG congolaises et internationales s’y sont employés.

  • Une partie des intervenants avec, de gauche à droite : la journaliste belge Colette Braeckman, la députée européenne Véronique De Keyser, le journaliste Botowamungu Kalome, rédacteur en chef d’Afriqu’Échos Magazine (AEM) et Jean-Jacques Schull de l’ONG IDAY International| Photo : © AEM 

La justice congolaise demande de l’argent à une ONG pour traquer une criminelle

Accusé de sorcellerie, un enfant a été gravement brûlé par une prêtresse. Après une plainte d’une ONG, elle s’exile au Bas-Congo. Pour la traquer, la justice demande 400 dollars à l’ONG pour le transport des inspecteurs judiciaires. Le juge prévient : « Moi, je dois toucher trois fois plus… ». Les inspecteurs loupent, de justesse, la prêtresse dans un village où elle venait de brûler quatre enfants accusés de sorcellerie et qui sont morts. Ils reviennent à Kinshasa demander une nouvelle somme d’argent pour repartir dans le Bas-Congo. L’ONG va jeter l’éponge et consacrer le peu d’argent qui lui restait aux soins médicaux de l’enfant. Le même juge avait relâché, après deux petites semaines, tous les complices de la prêtresse. Idem pour les deux adolescents qui ont brûlé un enfant dans la banlieue de Kinshasa : ils sont restés à peine deux jours dans les cachots de la police.

Comment enrayer le phénomène ?

Roger Katembwe Buiki, travailleur de rue à Kinshasa, s’en prend aux pasteurs qui affirment détecter les enfants sorciers : « Il n’existe pas d’enfants sorciers, ce sont ceux qui le prétendent qui sont sorciers ». Un tel « slogan » pourrait s’avérer inefficace selon le journaliste Botowamungu Kalome : « Ce n’est pas avec un tel discours qu’on pourrait endiguer un fléau qui se nourrit des croyances séculaires présentes et vivaces dans toutes les catégories sociales. Il conviendrait d’interpeler l’État et les églises de réveil sur la légitimité et la crédibilité de ces églises pour détecter les sorciers, il faut évoquer leurs responsabilités sociales et pénales face à des agissements violents et criminels qui doivent être traités en tant que tels ». Et de supputer sur la pression qui amènerait ces dérives : « Jésus a dit que ceux qui croient en lui guériraient des malades, dans un pays où plus de 95 % de citoyens ne peuvent s’offrir un diagnostic médical efficient, les pasteurs, incapables de réaliser la promesse de Jésus, se défausseraient sur les enfants avec leurs accusations implacables, invérifiables. Dans un pays où le taux de chômage avoisine les 80 %, il se trouve hélas des fidèles pour croire qu’ils sont au chômage parce qu’envoûtés par leurs propres enfants… ».

La prévention par la sensibilisation est une option partagée par Roger Kitembwe Buiki et Mithé Osumbu, présidente de l’ONG « Oser la vie » qui agit pour le maintien des enfants stigmatisés dans leurs familles ou leur installation dans des familles d’accueil en assurant leur subsistance. Cette ONG, qui soutient 50 enfants, milite pour que ce phénomène soit considéré comme un crime contre l’humanité.

Le risible orgueil des diplomates congolais

Attendu à la conférence, Henri Mova Sakanyi, l’ambassadeur de la RDC en Belgique, a annulé sa participation au dernier moment et délégué trois diplomates restés silencieux durant toute la conférence. Des diplomates qui se sont donnés en spectacle en quittant la salle en bougonnant lorsque le député européen Charles Goerens s’est interrogé sur l’inaction du pouvoir de Kinshasa. Comme des gamins mécontents dans une cour de recréation d’une école maternelle. Un comportement qui a embarrassé les Congolais présents notamment face à la prestation remarquée d’un député-maire et d’un diplomate sénégalais qui ont su faire entendre le point de vue officiel de leur pays avec un zeste de mauvaise foi en occultant les fléaux de la prostitution infantile et des jeunes mendiants au service des chefs religieux.

« Touchée par les témoignages poignants et, en même temps, édifiée par la richesse des échanges », la députée européenne Véronique De Keyser s’est engagée à donner des prolongements concrets à cette conférence. |Botowamungu Kalome, envoyé spécial d’Afriqu’Échos Magazine (AEM), Bruxelles, Belgique