RDC : l’impossible conservation ou passation « apaisée » du pouvoir

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Ça y est et ce n’est pas tôt : en RDC, la foire d’ empoigne, les jeux olympiques des invectives, des quolibets et des sous-entendus racistes a vécu. Mais la parenthèse ouverte avec la précampagne puis la campagne électorale ne s’est pas refermée, la graine de la stigmatisation a été semée et pas sûr que ceux qui l’ont semée à tout vent auraient à coeur et/ou la recette pour empêcher l’expansion des mauvaises herbes dans le coeur des Congolais, dans les rapports entre Congolais. « Candidat de l’étranger », « promotion de l’homosexualité », « candidat qui ne montre pas son épouse burundaise », « origines et nationalité douteuses », « sans diplôme, sans instruction, toute sa vie chez papa et maman », « ivre de son Prix Nobel », « n’a jamais travaillé toute sa vie »… Félix Tshisekedi, Moïse Katumbi et Denis Mukwege n’ont pas été économes en « amabilités » sans oublier Noël Tshiani qui aura été le « Jean Baptiste » du discours de campagne du camp du président sortant. Pour quels lendemains ?

La passation du pouvoir entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi était tellement apaisée que le président sortant a obtenu de son successeur une sorte d’absolution de tous les sévices et tragédies subis par l’opposition dont il était l’un des ténors, y compris le long et pénible exil imposé au corps de feu son père Etienne Tshisekedi. Un billet de banque devait même être émis avec l’effigie du désormais « Père de la première alternance démocratique à l’issue d’une élection apaisée ». Une alliance contre-nature qui a recyclé tous les coauteurs ou qui justifiait les crimes économiques et les crimes du sang du régime précédent. Par effet mécanique, cela a repoussé vers des rivages ennemis les alliés naturels d’hier comme Katumbi et Chérubin Okende.

La victoire à tout prix, à n’importe quel prix

Le sillon était creusé par des hérauts dont on a eu tort de s’arrêter au caractère loufoque de leur construction intellectuelle : Jules Munyere et son « pendant intello » Noël Tshiani. Sous un air bébête et décalé, la bande a proféré des propos diffamants sur les femmes violées de l’Est, sur les métis qualifiés de « Mundele alekaki awa » (Un Blanc est passé sexuellement par là)… sans être inquiétée par l’État. Katumbi était traité d’étranger et la justice ne broncha jamais. Le chef de l’État se démarquait de ce discours que quand la presse l’interpellait, sans conséquence. Mais le jour où une militante du parti de Martin Fayulu avait osé attribuer des origines étrangères à Denise Nyakeru, elle a été traînée dans les cachots puis au palais présidentiel pour être admonestée et humiliée par la première dame. Dans la foulée, on découvrit un président vigoureux contre les propos discriminants et qui se déclara prêt à remplir les prisons avec les auteurs de tels propos.

La précampagne du camp présidentiel dans les réseaux sociaux était sans ambiguïté, la milice numérique commise pour rugir sur le net a concentré toutes ses attaques sur « l’étranger » Moïse Katumbi. Le président agréa cela en mettant les Lushois en garde contre « le candidat de l’étranger qui viendra leur parler en swahili ». Félix Tshisekedi crut se la jouer subtil en parlant de « candidat de l’étranger » et pas de « l’étranger qui est candidat ». Quand ses troupes étendent leurs attaques sur l’épouse de Katumbi à qui ils attribuent la nationalité burundaise, le fils d’Etienne Tshisekedi va aller dans leur sens avec une allusion sur le « candidat qui n’affiche pas son épouse ». Les hommes politiques ont le talent de faire semblant de tout se pardonner mais Félix Tshisekedi pourra-t-il demain dire bonjour à la femme de Katumbi qu’il connaît bien sans baisser les yeux ? Son ascension sociale et politique n’en dépend pas, pourquoi il s’en formaliserait…

Le tribalisme décomplexé

Dans quel état Félix Tshisekedi retrouvera-t-il la nation congolaise s’il était réélu ? Dans quel état Moïse Katumbi ou Denis Mukwege trouverait-il la communauté nationale si l’un ou l’autre remportait l’élection présidentielle ?

Le clivage entre tribus s’est exprimé tragiquement dans plusieurs parties du pays : dans le grand Katanga, dans la grande province Orientale, dans le grand Kasaï, dans le Bandundu, dans le grand Kivu… L’amour de la patrie aurait exigé une attitude et des discours responsables de la classe politique. Au contraire, elle a ouvertement aidé le tribalisme et surtout des propos tribalistes à se décomplexer. Là où la rumeur était le canal qui favorisait l’expansion du tribalisme, les réseaux sociaux et le discours politique en sont devenus l’accélérateur des particules. À la fin, les empoignades électorales ne vont pas arrêter l’expansion de cette mauvaise herbe qui vont pénaliser un Luba qui vivait paisiblement dans un village isolé au Katanga et vice-versa. Pendant ce temps, la classe politique va subitement retrouver une sorte de sagesse et va dérouler un discours d’apaisement lénifiant en pure hypocrisie.

Félix Tshisekedi, la faute morale

Quand la classe politique joue avec des allumettes, s’il y a un homme ou une femme qui ne doit s’y adonner c’est celui ou celle qu’on appelle « garant(e) de l’unité nationale ». Alors que le sentiment d’appartenance à un ensemble national était en train de craqueler sous les coups des propos et des attitudes qui divisent plus qu’ils ne rassemblent, il était de son devoir de s’ériger en rempart, en dernier rempart. Sur ce point, Félix Tshisekedi n’a pas été au rendez-vous et s’est laissé guider par la stratégie, par la tactique que par des valeurs cardinales du combat politique commencé par son illustre père.

Félix Tshisekedi et Denise Nyakeru en Père et Mère Noël

En cette période charnière entre deux mandats successifs de Félix Tshisekedi ou d’un premier mandat de Moïse Katumbi, il n’est point de bilan unanime de celui qui a appelé à « consolider les acquis de son quinquennat ». Personnellement, je le trouve famélique au regard de ses promesses électorales et affligeant sur bien d’aspects mais la gratuité de l’enseignement primaire restera pour moi une avancée historique et je défends même la « précipitation » dans sa mise en œuvre. La « brutalité » de son lancement a évité une application qui aurait fait l’objet d’atermoiements et de conciliabules interminables. Bien évidemment, cela ne pouvait que générer d’autres difficultés logiques qui ne doivent être réglées sur la durée et chemin faisant.

Pour le reste, l’utilisation des fonds de l’État et des ressources minières a laissé apparaître un accaparement ostentatoire des proches. Avant son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi avait craint « un pillage effréné de la part des cadres de leur parti qui ont tant galéré ». Dans un élan de reconnaissance envers les amis de galère et les compagnons d’infortune, Félix Tshisekedi n’a oublié personne jusqu’à ceux qui l’ont juste hébergé même quelques jours lors de ses périples internationaux en tant qu’opposant. Certains étaient nommés à des postes importants sans grand-chose à faire ou sans les moyens pour travailler mais question de leur garantir un revenu conséquent. Et je ne parle même pas des voyages à l’étranger avec une délégation qui a avoisiné la centaine de personnes à chaque fois avec les frais de mission qui vont avec.

La première dame n’a pas été moins généreuse, elle a rameuté même de simples amies de lycée, les piailleuses de sa milice numérique et je pense même des dames qui lui avaient ajouté quelques cacahuètes de bonus (matabisi) quand elles s’en procuraient toute petite à la recréation ou au coin du de la rue. Cette générosité et cette reconnaissance du couple présidentiel sont indiscutablement louables sauf si c’était avec l’argent de tous les Congolais. Et comme ces bénéficiaires ont souvent affiché leur enrichissement soudain avec ostentation et arrogance, cela a donné 5 ans de cynisme face à une population dont la misère est allée de pis en pire. Sans parler des dizaines et des centaines de millions régulièrement détournés sans que cela ne débouche sur la moindre sanction administrative ou judiciaire. Les dépenses folles et pharaoniques pour les jeux de la Francophonie par un pays sans un seul stade public homologué étaient l’une des plus douloureuses illustrations d’une politique tape à l’oeil.

Chérubin Okende le « Chebeya » de Félix Tshisekedi et Stanis Bujakera son « sparadrap du capitaine Haddock »

Si l’on me demandait de sortir du lot une seule photo de Félix Tshisekedi, ça serait sans hésitation celle avec la veuve de Chebeya à qui il avait rendu visite au Canada. On y sent une compassion sincère auprès d’une dame et des enfants privés précocement de leur mari et père. Quelques années plus tard, à son arrivée au pouvoir, le régime de Tshisekedi est appelé à élucider la mort du député de l’opposition Chérubin Okende qui ressemble à tous points de vue à celle de Chebeya.

Dès le lendemain de ce drame, la guerre des services au sein du régime a permis la circulation d’une version que le pouvoir n’est toujours pas parvenu à démentir par une autre version : un interrogatoire musclé qui aurait mal tourné et un décès « accidentel » grossièrement maquillé en assassinat crapuleux et il ne manquait juste que le corps dénudé et des préservatifs autour pour obtenir une copie conforme du cas Chebeya.

Puis, vint ce « maudit » article de Jeune Afrique qui reprend un document présenté comme émanant de l’Agence nationale des renseignements (ANR) et qui mettait en cause les renseignements militaires. Sans qu’il en ait été le signataire, Stanis Bujakera Tshiamala sera interpelé par l’ANR pour répondre de cette supputation. Le ridicule de la situation poussera l’ANR à lui reprocher « la fabrication d’un faux document et diffusion de fausses informations ». Sauf qu’après perquisition de ses ordinateurs et téléphones, l’ANR trouvera que lui-même avait reçu ce document via Telegram et sans prouver qu’il l’aurait adressé à quiconque moins encore à l’hebdomadaire Jeune Afrique.

En dépit de toutes ces évidences, le régime de Félix Tshisekedi maintient Stanis Bujakera Tshiamala en prison depuis plus de 3 mois. Ce 24 décembre 2023, pendant la rédaction de cet article, je vois défiler des photos des familles heureuses fêter Noël et comment ne pas penser à l’épouse et au fils de ce journaliste privé injustement de leur mari et père. Quelle cruauté ! Comment ne pas penser aussi à la veuve et aux orphelins du député Okende qui n’ont même pas eu une visite de compassion du président de la République alors qu’il semble clair qu’il n’aurait rien à se reprocher à part d’avoir un entourage habité par le sentiment de toute puissance.

La solitude de l’après-pouvoir

À force de scruter différents pouvoirs sous toutes les latitudes, j’ai observé la récurrence d’un schéma à trois phases. Dans la première phase, autour du chef se déclenche la guerre des services et la guerre des entourages, le but est de rogner la confiance de l’autre camp aux yeux du président, de l’éloigner, de réduire son influence. Dans la deuxième phase, le service ou le groupe qui a la main va s’employer à créer une zone étanche entre le chef et le peuple : désormais le peuple ne parlera plus que par leurs rapports laudatifs élaborés par les services et collaborateurs qui prendront soin de ne pas vexer le patron. Nous sommes dans le registre « Tout va bien Madame la Marquise ». Dans la phase ultime, la troisième phase, on parvient à couper le chef des réalités et son discours devient lunaire, déphasé. La dernière interview de Falix Tshisekedi sur Top Congo en est la parfaite illustration.

Quand vint la fin du règne, celui à qui on a fait croire que son pouvoir vient de Dieu voit son entourage se réduire numériquement proportionnellement à la raréfaction de l’argent, des postes et des privilèges distribués. Au fur et à mesure, ces « fidèles » se recyclent et se mettent au service du nouvel homme fort. Mende, Mboso, Bahati… incarnent sans scrupule cette capacité à se recycler encore et encore. Nous savons comment résonnent aujourd’hui dans les oreilles et les coeurs des Congolais les noms de Mobutu, de Kabila. Que symbolisera demain le nom de Félix Tshisekedi ? Comment l’actuel président voudrait que, demain, ses enfants, ses frères soient accueillis en déclinant leur patronyme ? La réponse lui appartient.

Plus qu’un article, une lettre à Félix Tshisekedi

La longueur exceptionnelle de cet éditorial décline le choix plutôt d’une « Lettre à Félix Tshisekedi » à qui on a fait croire dès le début de son mandat, alors qu’il n’avait encore rien réalisé, qu’il était « Béton ». J’ai choisi de publier cet article après l’élection pour ne pas donner l’impression de vouloir influencer le vote alors que je n’ai jamais pensé qu’un article, un post sur Facebook, un message sur X serait capable de faire élire un président. Dans la pluralité des publications qui raconteront demain le pouvoir de Félix Tshisekedi, je viens consigner la mienne en toute modestie.|Botowamungu Kalome (AEM)