
Ç a aurait pu être juste un succès d’estime nourri par la compassion, mais c’est un plébiscite d’une rare émotion que le groupe congolais Staff Benda Bilili a récolté lors de son concert, jeudi 5 août dernier, à La Roche-sur-Yon, ville située à 70 km de Nantes, en France. Lorsque chanteurs et musiciens arrivent sur scène sur fauteuils roulants et sur béquilles, le public est comme gagné par une sorte de gêne mêlée de pitié au vu de ces corps endoloris et abîmés à jamais par le sort… Aussitôt, tout le groupe, larges sourires, lève les bras pour saluer les mélomanes présents qui répondent avec des applaudissements frénétiques… La musique va se remettre au cœur de la soirée. Et quelle musique !
Sur les huit artistes présents sur scène, tous chantent alternativement selon les chansons et cinq jouent au moins d’un instrument : trois guitares, la basse, la batterie composée intégralement d’instruments typiquement congolais et un instrument répertorié nulle part : le satonge, invention de Roger Landu, un ancien shegué (enfant de la rue) le plus jeune musicien du groupe. Instrument monocorde simplet d’apparence, fait d’une boîte de conserve et d’une tige en arc qui tend l’unique corde, le satonge produit des sonorités étonnantes qui oscillent entre celles d’une guitare électrique et du violon. Quand il ne donne pas le la comme on dit, Roger Landu surfe subrepticement sur les partitions des guitares dégageant une complémentarité et une harmonie de toute beauté. Que la musique flirte avec le blues, le high life, la rumba cubaine ou congolaise… la batterie est admirablement dans le bon tempo avec une touche inédite qui renvoie aux fondements des musiques ancestrales de la RDC.
Quand le groupe décide de passer à une musique plus dansante, les musiciens déroulent une musique originale, plus saccadée, plus rythmée qui fait atteindre des pics à l’applaudimètre. La surprise et l’admiration des mélomanes sont tellement expressives que les chanteurs se laissent aller à des parties des danses endiablées : les chanteurs transforment les fauteuils roulants en instruments de show en les faisant tournoyer comme des tourniquets. Le handicap n’est pas vaincu mais surmonté par le talent et par l’ingéniosité. Les chansons interprétées l’attestent également : Dans « Polio », le groupe fait campagne pour la vaccination contre la poliomyélite, puis dans une autre chanson souligne que le handicap se trouve plus dans le regard de l’autre et dans « Moïndo » appelle l’Afrique à prendre son destin en main. Les sentiments amoureux, le sort des enfants abandonnés et la famille sont également au menu. Si le public ne comprend pas la langue, les mélodies et la musique se chargent de faire deviner le message.
Par son originalité et par sa variété, la musique de Staff Benda Bilili ne saurait être enfermée dans une aire géographique avec le label « musique congolaise ». Elle est bien sûr estampillée « Made in Democratic Republic of Congo », mais elle donne à écouter autre chose et certifie que sous les bombes et malgré la gabegie politique, l’agression rwando-ougandaise et des rébellions des plus insensées, la créativité n’a jamais marqué de pause à l’ancienne place forte de la musique africaine. |Botowamungu Kalome (AEM)