Les obsèques de Madilu tournent à la foire. Gênant !

Avatar photo

L es obsèques du chanteur Madilu Bialu Jean de Dieu dit System ou Grand Ninja seront populaires, très populaires, gigantesques et bruyantes. Le président Joseph Kabila en personne, devenu médecin d’urgence et croque-mort des musiciens, a apporté son soutien financier ainsi que le ministère de la culture et l’Hôtel de ville de Kinshasa. Le stade des Martyrs (80.000 places) a été réquisitionné et le tout sera piloté par un comité d’organisation composé de…80 personnes et présidé par Kiamuangana Mateta ainsi qu’un représentant de Joseph Kabila.

L’implication du président de la République est significative ; l’on savait que son programme politique comprenait cinq chantiers prioritaires, il faudra désormais ajouter un sixième : l’assistance sociale aux musiciens. Le ministère de la culture et le gouvernement provincial de Kinshasa s’étant engagés à prendre en charge la totalité de frais d’inhumation, Joseph Kabila a choisi, pour sa part, de sponsoriser ce qui va ressembler à des réjouissances populaires plutôt qu’à un deuil.

La volonté de rendre hommage à Madilu à la hauteur de sa notoriété est indiscutablement louable, mais l’on ne peut s’empêcher de se poser des questions morales et juridiques que soulève l’organisation mise en place. Les choses se déroulent comme si Madilu était d’abord et essentiellement chanteur, musicien et seulement accessoirement fils, frère, mari et père de famille. Il est, en effet, curieux qu’il se mette en place un comité d’organisation qui n’ait été initié ou souhaité par la veuve et les orphelins du défunt. Il est tout aussi gênant d’apprendre que le dit comité d’organisation a déjà reçu des fonds et qu’il a décidé d’accorder l’exclusivité des images des obsèques à quelques chaînes de télévision locales avant même l’arrivée de la veuve et des orphelins à Kinshasa. Le droit d’image est quelque chose de très bien réglementé pour que d’aucuns se permettent de vendre ou de confier l’exploitation des images des obsèques de Madilu sans mandat clair et écrit des ayants droit.

Sur le plan de l’hommage pur, est-il digne d’exposer le corps du Grand Ninja dans un stade de 80.000 places dans une ambiance de décibels assourdissants avec des « atalaku » et des groupes qui vont s’égosiller comme pris d’hystérie ? Qu’on ne nous sorte surtout pas l’argument facile de l’inévitable présence des chants et de la musique lors des obsèques depuis nos ancêtres. Les chants et musiques de deuils ont toujours été spécifiques pour ne pas les confondre avec ce qui sera joué au stade de Kinshasa. Le bon sens aurait voulu que le corps soit exposé dans un lieu couvert, digne et solennel où parents et mélomanes pourraient se recueillir avec un défilé dans le calme des mélomanes comme cela se fait habituellement. Quitte à ce qu’effectivement, en même temps ou après l’enterrement un concert géant soit organisé au stade. L’initiative d’organiser des funérailles aussi spectaculaires et ostentatoires pose des questions sur les motivations réelles de certains piliers de ce comité d’organisation qui donnent l’impression de faire de ce deuil une opportunité pour refaire surface. Sans compter qu’il n’est pas exclu que les lendemains de ces obsèques ressemblent à ceux de Maïsha Park après le passage des musiciens à la présidence de la République devenue manifestement leur cantine.

Cette manière de déposséder la veuve de Madilu et ses orphelins du deuil, d’aller faire la quête à la présidence de la République au nom de Madilu à l’insu de sa famille, sont des pratiques qui, même si elles partent d’un bon sentiment, ont quelque chose de gênant. Franchement, on aurait aimé vivre autre chose, disons on aurait aimé que pour une rare fois, les musiciens nous surprennent… positivement. Vain espoir tant que Kabila continuera à jouer « Tata loboko pete, apesa atala te » et que ses collaborateurs s’ennuieront au point de faire partie du comité d’organisation des obsèques de telle ou telle célébrité. Tiens ! si quelqu’un arrive à parler au frangin Joseph, pourra-t-il lui dire qu’après les obsèques de Madilu, les enfants de ce dernier iront peut-être dans une école de Kinshasa ou les salles de classes sont sans fenêtre, sans banc, sans âme et sans des Kiamuangana pour aller faire la manche à la présidence de la République pour leur réhabilitation ?|Botowamungu Kalome (AEM)