« Allo, Bokal ? Je t’appelle pour t’annoncer que je rentre. Je ramène Zaïko à la maison. Je viens d’acheter mon billet d’avion ». L’émotion est audible, palpable, lorsque Jossart Nyoka Longo, par ce coup de fil laconique, m’annonce ce mardi 20 janvier 2009 son retour -et donc celui aussi de Zaïko Langa Langa- à Kinshasa. Six ans après le concert du 7 septembre 2002 au Zénith de Paris. Le chanteur est ému, la gorge nouée, de nombreuses images défilent, sans doute, dans sa mémoire : le concert du Zénith, son séjour en prison, la roublardise de certains producteurs ou promoteurs, la faillite de JPS son producteur attitré, l’ingratitude et l’arrogance de certains de ses musiciens grisés par un confort administratif et matériel relatif, des moments de solitude loin de sa famille, les retrouvailles avec Meridjo et Bapius , son interview autobiographique à Nantes, la fidélité de Ricky Lumbu et d’Eugide Defer (ces amis qui sont toujours là même quand ça ne va pas fort), l’avènement de Lola Mwana, les interventions décisives de l’ami de toujours Chirac Mondzo, les gestes d’envergure de Blaise Elenga… Tellement de choses qui ont ému, bouleversé, affecté ou réconforté cet homme chez qui la peine ou la colère sont toujours rentrées et la joie tout juste esquissée, à peine perceptible. Chez Nyoka Longo tout se vit à l’intérieur. Mini bilan en attendant la date et les détails de ce retour ainsi que l’interview exclusive de Nyoka Longo à Afriqu’Echos Magazine (AEM).
Jossart et Zaïko Langa Langa ont joué en France et en Belgique une dizaine de concerts d’au revoir au point d’en faire des sujets de moquerie et susciter moult spéculations sur ce qui retenait réellement Nyoka Longo en Europe. D’ailleurs, s’il n’esquivait pas le sujet, il répétait inlassablement la même réponse lapidaire : « Je ne repartirai pas sans avoir acheté une sono complète, c’est mon outil de travail et il me le faut pour que je puisse exercer normalement mon art au pays ». De nombreuses promesses lui ont été faites, mais peu ont été tenues. Jossart s’est alors mué en fourmi, achetant un à un les différents éléments de la sono grâce à quelques euros mis de côté après chaque concert. L’équipement ne serait pas encore complet mais le patron de Zaïko Langa Langa a commencé à trouver le temps long et ses fans à Kinshasa, l’attente interminable.
Zaïko Langa Langa : une valeur marchande sûre
Durant son séjour, Zaïko Langa Langa a sorti trois albums dont le plus élaboré, le plus harmonieux et le plus cohérent artistiquement est sans conteste « RencontreS » produit par Bienvenu Chirac Mondzo, tandis que la chanson qui cartonne et qui est devenue le must de toutes les soirées congolaises est « 19 minutes de Ngwasuma », un medley contenu dans l’album « Empreinte » financé par Blaise Elenga.
Comme l’album « Eurêka » produit par JPS, « Empreinte » et « RencontreS » ont souffert d’un manque de promotion qui n’a pas aidé leur vente. Heureusement que la cote du groupe n’a jamais quitté les sommets : 80 % de ses concerts se sont déroulés dans des salles quasi pleines en dehors de quelques ratés mémorables comme à Nantes, Mulhouse, deux fois en Allemagne, ou encore Marignan en Belgique en 2008. Les promoteurs congolais y ont le bon filon : ils se contentaient d’une publicité plus que sommaire pour programmer Zaïko, un orchestre irrémédiablement rentable
Au secours, Jossart Muanza et Botowamungu dépriment !
« Awa Jossart azozonga sik’oyo bokosala nini ? Hé hé ! Mpo ezalaki kaka Zaïko na Zaïko, obaluka awa Zaïko, ozonga boye Zaïko ! » Lisez : « Qu’allez-vous faire maintenant que Jossart ( Nyoka Longo) rentre au pays ? Parce qu’il n’y en avait que pour Zaïko ! ». Cette moquerie est de ma femme et celle des milliers de mélomanes qui ont taxé Afriqu’Echos Magazine (AEM) d’être trop pro-Zaïko, de consacrer plus d’intérêt à ce groupe et à son leader qu’aux autres orchestres et musiciens. Compréhensible, cette impression des mélomanes, mais un peu ingrate de la part de ma femme qui adorait aller danser aux concerts de Zaïko où elle bénéficiait abondamment des dédicaces. Plus même que Jossart Muanza et moi réunis.
Pour redevenir sérieux, l’impression qu’AEM était au service de Zaïko est née de l’abondance des articles consacrés à ce groupe et à son leader. Cela ne relevait pas d’une ligne éditoriale délibérée, mais beaucoup de la politique de communication de Jossart Nyoka Longo qui avait compris le parti qu’il pouvait tirer en associant étroitement notre magazine à la vie de son groupe. Or, les autres orchestres et leurs producteurs ne nous tiennent même pas au courant des concerts qu’ils organisent, ni de la sortie de leurs albums. Koffi Olomide, JB, Werrason (sauf pour son dernier Zénith)… Papa Wemba, quand ils organisent des conférences de presse ou des concerts, nous ne sommes jamais conviés. Quand nous sollicitons une interview, dans la plupart des cas, nous sommes poliment éconduits. Jossart s’est simplement imposé comme un interlocuteur privilégié qui allait même jusqu’à solliciter nos avis lors de la réalisation des deux derniers albums de son groupe. Cependant, soyez rassurés, après son retour nous n’allons pas déprimer même si, allez, j’avoue, humainement, Jossart va nous manquer ainsi que les concerts de Zaïko Langa Langa. Ne croyez pas aussi que mon confrère Jossart Muanza « aurait choisi » son prénom par fanatisme, même si quelquefois je l’ai soupçonné d’avoir envie de mettre un coup de poing sur la figure de ceux qui attaquaient « son » Jossart, l’autre, la star, le patron de Zaïko…
Mes quatre souvenirs les plus forts
Durant tout le séjour de Jossart, il y a quatre faits qui m’ont marqué et qui semblent résumer l’homme. Le premier : un jour, je lui passe un de ces coups de fil familiers dont on avait l’habitude, il me répond avec un brin d’autodérision et de fatalisme : « Ah Bokal, ça va ? Mikolo ! Naza devant machine awa nazosukola bilamba. Tala kaka ba vie ya célibataire oyo na poto… ». Traduisez : « Ah Bokal, ça fait un moment. Je suis en train de charger mon linge dans la machine. Qu’est-ce que tu veux ? Ce n’est pas simple la vie de célibataire en Europe ». Dieu sait pourtant qu’avec sa popularité et son charme, il aurait pu tomber dans la facilité de se faire entretenir par une femme, par plusieurs même ou faire faire son ménage ou son linge par des conquêtes féminines qui ne demanderaient pas mieux…
Deuxième anecdote : à la mort de James Brown, le 25 décembre 2006, Nyoch nous écrit un matin à AEM pour nous demander s’il pouvait publier un texte en hommage au chanteur américain. Quand nous recevons le texte, je suis sur les fesses comme on dit vulgairement : le français est impeccable et le style a de la classe. Je n’en reviens pas et nous décidons, avec Jossart Muanza, de ne rien toucher au texte même pas une virgule mal placée ou un accord oublié. Le texte sera publié tel quel ! Ce jour-là Jossart m’a bluffé complètement. Je savais qu’il était très cultivé, qu’il lisait beaucoup la presse étrangère notamment le quotidien français Le Monde, mais de là à lui découvrir un talent certain en écriture, je ne m’y attendais pas.
Le troisième souvenir fort c’est la longue interview autobiographique qu’il m’a accordée à Nantes et sortie sur DVD par la maison Wedoomusic de Chebli Msaïdié (Merci à Chebli de m’avoir permis de réaliser ce projet). Nyoka Longo n’est jamais allé aussi loin, et avec beaucoup de détails, pour parler de lui, de son enfance marquée par la mort de ses parents et de son unique sœur. Ce soir-là, je compris pourquoi Zaïko ne joue quasiment jamais en concert la chanson « Nalali pongi » dédiée à sa défunte sœur. Dans cette interview, Jossart parle également de la politique et de la Sonéca avec un propos juste, éclairé et incisif. La plupart de gens qui ont visionné ce DVD regardent désormais le chanteur différemment.
Le dernier fait que je retiendrai s’est déroulé dans la salle Le Millénaire à Savigny-le-Temple, dans la région parisienne. Zaïko joue un concert avec un Jossart malade qui ne peut enchaîner deux chansons. Il est faible, chante péniblement et se rassoit entre deux chansons. Adamo Ekula va prendre le relais et assurer. Ce dernier s’en sort remarquablement mais les Lasers ne sont pas à la hauteur et la qualité de la musique en pâtit. Jossart se fit alors violence et reprit le micro. Le chanteur retrouve du mordant et fait le show, le public s’emballe et l’ambiance est d’enfer. À l’heure prévue pour la fin du concert, il va même supplier les gestionnaires de la salle d’accorder encore un peu de temps à l’orchestre… À la fin, Jossart lui-même n’en revient pas d’avoir vaincu, le temps d’un concert, la maladie et lâche à la foule : « On m’a toujours parlé de la magie de Zaïko, aujourd’hui je l’ai vécue personnellement ! ».
Durant ces six ans de séjour en Europe, Nyoch reste le même : généreux, cultivé, toujours prompt à pardonner… mais toujours aussi taiseux, énigmatique. Mais en privé, c’est un tout autre personnage : plein d’humour et de bonhomie, bavard, humble et respectueux de tous indépendamment de l’âge et du statut. Le chanteur est également resté digne et droit : les périodes difficiles, même très difficiles sur le plan financier, il les a traversées avec dignité et stoïcisme.
Lola Mwana comme un signe du destin
En 1988 quand Zaïko Langa Langa connut la scission qui donna naissance à Familia Dei, quelques semaines plus tard, Nyoka Longo m’avoua, sous une paillotte à Lingwala, que sans l’investissement du chanteur Dindo Yogo, il aurait peut-être sombré. Et ajouta que c’est l’artiste le plus consciencieux qu’il ait connu dans sa carrière.
Vingt ans plus tard, Lola Mwana se révèle être le fils de son père, trait pour trait. Professionnellement s’entend. Le jeune chanteur est passionné et s’implique dans son travail avec sérieux, se révèle comme un leader, un meneur d’hommes sur qui Nyoka Longo mise beaucoup apparemment. Comment pourrait-il en être autrement ? Avec la réussite des Gunners qui ont rallumé la flamme de Zaïko à Kinshasa et attiré un sponsor majeur et crédible : la société brassicole Bralima, les choses se sont faites naturellement. Aussi pour l’album « RencontreS », c’est lui qui est allé chercher au pays de nouveaux pas de danse et des cris d’animation. Éclectique, on l’a vu lors des concerts de Zaïko jouer la basse, la batterie et les congas. Du jamais vu dans cet orchestre pourtant trentenaire, et même dans la musique congolaise moderne.
Zaïko Langa Langa a plus de 39 ans d’existence (40 ans au mois de décembre 2009), Lola Mwana largement moins et représente peut-être l’avenir de ce groupe. C’est sans doute le grand enseignement qu’il faut tirer aussi de ces six ans passés en Europe par Jossart Nyoka et Zaïko Langa Langa. Dommage cependant qu’Adamo Ekula, qui a été essentiel durant cinq ans, ait quitté le groupe et très peu participé au dernier album. Dieu sait pourtant à quel point la paire Adamo-Lola aurait complété idéalement Nyoka Longo. Hélas, la grande histoire de Zaïko Langa Langa est aussi faite des déchirements, des départs regrettables. Adamo est un chanteur dont j’appréciais énormément le talent et l’apport, mais également un homme pour qui je ne garde que de bons sentiments même si je ne l’ai plus du tout reconnu dans certaines de ses attitudes récentes.
En suivant Zaïko Langa Langa durant ces six années, je me suis aussi créé des amis devenus presque des frères : Jossart Muanza (dont notre collaboration avait commencé avec le reportage du concert de Zénith] qu’il me demanda de faire pour AEM version papier à l’époque), Prof Franck Mambi (la rectitude faite homme), Guy Mabita (Un passionné et un cartésien mais que j’ai surnommé « Le sanguin » ), Samba Souleymane (un symbole d’efficacité et d’investissement), Eugide Defer, Ricky Lumbu, Ben Bwakanda (intelligent et pondéré), Nzoko Tshotsho…
Enfin, plutôt qu’une fin, il reste une page à écrire, un projet qu’on s’est engagé à réaliser pour la postérité, pour l’histoire : la suite du DVD de Nantes ? Un livre ? vous le saurez très vite.|Botowamungu Kalome (AEM)
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