La (toute) première radio commerciale est peut-être née en République Démocratique du Congo, en 1939, sous la colonisation belge. Cette radio qui s’appelait Congolia aura également été une pionnière, une devancière des NRJ, Skyrock, en matière de promotion musicale. Cette information qui, certes, n’est pas un scoop a été judicieusement remise en perspective par Pierre N’sana dans son livre fraîchement sorti : « Médias et conflits armés en RDC, Des journalistes en danger, Le journalisme en chantier » paru aux éditions L’Harmattan. Ce n’est pas la seule pépite ramenée des profondeurs de l’histoire par ce professeur associé; l’auteur rappelle que, en 1939 à Lubumbashi, pour faire face à la fermeture des écoles suite à une épidémie, une radio avait servi de canal pour des cours en distance, une initiative qui fait résonance au contexte actuel avec la pandémie de covid-19.
Le 4 septembre 1939, Jean Houderbise, un commerçant avait lancé « Congolia » la première radio à vocation commerciale « dans le but de se doter d’un support pour la publicité de son établissement » et, par la même occasion, « créer des liens entre les radios-amateurs du Congo belge et apporter un peu de gaîté aux auditeurs en diffusant de la musique ». Premier coup de génie de ce pionnier qui note que peu de familles congolaises possèdent un transistor (vieille appellation populaire du poste radio que je déterre par nostalgie) va installer des haut-parleurs sur des pylônes métalliques dans les quartiers rendant sa radio accessible à tous. La seconde innovation va concerner le contenu : alors que les autres radios ne diffusaient que la « musique des Blancs » pour égayer le quotidien des colons et leur apporter un bout du pays natal, Congolia va consacrer de larges créneaux à la musique des Congolais. Cela participera à l’émergence et à la promotion des premiers tubes et des premières vedettes de la musique congolaise.
« Le journalisme en chantier »
Cet ouvrage de Pierre N’sana Bitentu, professeur associé à l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication de Kinshasa, est une version « vulgarisée », une version tous publics de sa thèse de doctorat défendue à l’université libre de Bruxelles. Le brio de sa démarche réside dans ce qu’effectivement la discussion scientifique qu’elle induit est à la portée de tous. Le bouquin relève dans ses observations lors de la guerre engagée par le mouvement polico-militaire M23 dans l’est de la RDC, entre autres problématiques, l’épineuse question de la neutralité des médias en cas de conflit armé.
L’auteur indique à ce sujet « De son côté, Virunga Business Radio a aussi maintenu une même ligne mais caractérisée par un parti pris contre le M23. Non pas seulement la radio a multiplié l’utilisation des désignations évaluatives négatives pour se référer aux représentants du M23, mais les propos de ces derniers n’ont pas été pris en compte dans la production des informations jusqu’à la fin du conflit ». En se « limitant » à ce simple constat, Pierre N’sana s’est arrêté à la lisière d’un champ de réflexion que doivent défricher théoriciens, enseignants et pratiquants du journalisme et qui comporterait ces questions : Les médias doivent-ils couvrir un conflit armé avec la même « neutralité » que lorsque des partis politiques s’affrontent dans une campagne électorale ? La presse doit-elle considérer et désigner des présumés pédophiles, des auteurs présumés des crimes racistes comme des probables criminels, leur refuser une tribune et ne pas faire la même chose avec des groupes armés qui marchent vers le pouvoir en semant la mort et la désolation ?
Si ce débat est engagé, notamment par l’Ifasic, le « creuseur d’or » Pierre N’sana pourrait s’allier avec des orfèvres qui « sévissent » dans cette faculté comme l’impressionnant Wawa Monzanimu Sayal, le méticuleux, rigoureux et badin Budimbani, Mukeni Lapess, Ekambo, l’éternel Munsoko, le très solide Yenga Maombe Neko Arthur, Matumweni Makwala, le sémillant Didier M’buy, le génie Patient Ligodi… Les cours dispensés à l’Ifasic pourront peut-être bénéficier, alors, d’un addendum sur la neutralité.|Botowamungu Kalome(AEM)