La rumba congolaise vient d’intégrer officiellement le patrimoine culturel immatériel de l’humanité suite à une résolution de l’Unesco en date du 14 décembre 2021. Dans l’expression de leur fierté, les Congolais se sont surpris à constater qu’aucun d’entre eux n’avait la même représentation de la rumba que l’autre, même des journalistes dits spécialisés bafouillent des définitions. « Comment peut-on dire que Koffi Olomide fait la rumba ? », « La rumba, c’est la musique que faisaient les anciens », « On ne va quand même pas dire que des atalaku avec leurs cris cacophoniques font de la rumba ! ». Les explications fournies à l’Unesco auraient pu clarifier le débat mais le dossier déposé à cet organisme est d’une clarté opaque.
Les experts des deux Congo qui ont porté le dossier présentent la rumba congolaise comme « une musique à deux, trois ou quatre temps ». Et les autres courants musicaux seraient à combien de temps ? Cette musique se déclinerait aussi en une « variante lente en 4/4 structurée autour d’un couple mixte homme/femme, pulsé par le clave en un lancinant battement en un-deux-trois/un-deux ». Certes, cette communication technique était destinée à des experts, à des connaisseurs qui devaient trancher mais pourquoi n’a-t-on pas pensé à une version compréhensible par le commun des Congolais ? N’aurait-il pas été judicieux de mener, parallèlement, une large campagne populaire de présentation de la rumba à travers des médias afin que la population parvienne à saisir ses caractéristiques, ses évolutions, ses variantes ?
Des chaînons qui manquent, des trous dans la raquette
Avant cette étape de l’Unesco, il se racontait que la rumba était partie de l’Afrique dans les cales des bateaux négriers avant de revenir de Cuba enrichie de nouvelles sonorités produites par des instruments comme les guitares, la basse, la contrebasse et des instruments à vent. Les Congolais se seraient ensuite réapproprié leur bien et l’auraient remodelé. Une belle et émouvante histoire sur laquelle le dossier déposé à l’Unesco n’est pas plus explicite ; le récit est lapidaire : « La rumba tire ses origines d’une ancienne danse appelée Nkumba (nombril) qui se pratiquait par un couple homme/femme, nombril contre nombril, dans l’ancien royaume du Kongo. ». Aucune mention sur le style musical ni sur les instruments de musique qui la produisaient. Difficile de comprendre comment un courant musical est né des simples frottements des nombrils.
La liste des instruments répertoriés comme liés à cette musique comporte des oublis gênants : la contrebasse utilisée depuis les années 40 jusque dans les années 70, l’accordéon superbement porté notamment par Camille Feruzi et remis au goût du jour par Lita Bembo dans une des versions de sa chanson Gida, le likembe (piano à pouces) dont le maître absolu restera Antoine Moundanda, ainsi que le ngongi (deux cônes métalliques reliées en forme de U sur lesquelles on frappe avec un bâton en bois). Ce dernier instrument est présent dans la musique de Zaïko Langa Langa depuis plus de 20 ans en studio et également sur scène partout où se produit le groupe : dans plusieurs pays d’Afrique, en France, en Belgique, au Canada et dans une vingtaine d’ États des USA. A titre de comparaison, le lokolé qui est cité n’a été utilisé que pendant une décennie par Isifi Lokole, Yoka Lokole et Viva la Musica.
Un lien tenu avec la mode vestimentaire
Les experts qui ont gagné la bataille de la reconnaissance de l’Unesco n’en ont-ils pas un peu trop fait sur le lien supposé avec la mode vestimentaire ? « La Rumba congolaise, comme musique congolaise moderne ainsi que ses dérivés que sont la danse et la mode vestimentaire, est pratiquée et vécue sur l’ensemble des territoires nationaux de la République Démocratique du Congo et de la République du Congo, surtout dans les villes et centres urbains ainsi que dans quelques pays de l’Afrique centrale ». J’ai beau passer et repasser la loupe sur l’épopée de la rumba, retourner son histoire dans tous les sens, je ne trouve pas une mode vestimentaire suscitée par ce courant musical. Il est vrai que l’élégance vestimentaire a toujours été de mise dans la diffusion de la rumba congolaise en concerts ou en soirée mais cette musique n’a jamais engendré une mode vestimentaire même quand, au royaume Kongo, on poussait les nombrils à se câliner.
Et maintenant ?
« Il faut que la rumba entre vite dans les programmes scolaires », avait rapidement suggéré Didier M’Buy, enseignant dans une faculté de journalisme à Kinshasa. En parcourant les préconisations des experts, l’entre soi reste de mise avec la proposition des colloques, des rencontres entre praticiens et beaucoup de propositions concernant l’international ainsi que des touristes que ce « label » est censé attirer. Pour les nationaux, sont recommandés des festivals et vaguement des émissions sur la rumba mais pour diffuser quelles connaissances ? Le premier enjeu n’aurait-il pas été de produire une description claire, simple, populaire de la rumba ?
C’est l’éternel problème des Congolais : ils sont propriétaires d’inestimables richesses dont ils connaissent les appellations mais vaguement la teneur et les dividendes.|Botowamungu Kalome (AEM)