Frère Paul Balenza : « Les églises de réveil rançonnent les fidèles et des orchestres comme OK Jazz, Bana OK, Viva La Musica, Q. Latin et Wenge ont détruit nos mœurs »

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C atholique, chanteur et auteur-compositeur, Frère Paul Balenza est un personnage atypique. Le chanteur est l’un des rares à jouer la musique chrétienne populaire appelée abusivement gospel. Bien plus, pendant que les autres « musiciens chrétiens » confinent la musique typique dans la catégorie profane, lui va collaborer avec des artistes comme Déo Brondo (Zaïko et Quartier Latin), Josky Kiambukuta (OK Jazz et Bana OK), Florence Mabaya (Anti-Choc), Ramazani (Viva la Musica), Jean Goubald Kalala… Mais cela ne l’empêche pas, par ailleurs, de dénoncer leur participation plus qu’active dans la dépravation des mœurs. Au-delà d’une opposition théologique, l’intéressé vilipende les églises de réveil : ces « commerces de la parole de Dieu » tenus par des pasteurs qui perçoivent de l’argent pour soi-disant soigner ou délivrer des enfants accusés trop facilement de sorcellerie. Paul Balenza n’est pas plus tendre avec la classe politique qu’il accuse de s’accommoder des phénomènes de gang et des enfants de la rue. Le ton est posé, mais le propos direct, dur, ferme et même didactique. Lisez plutôt…

AFRIQU’ÉCHOS MAGAZINE(AEM) : Les travaux d’enregistrement de votre album « Louez Louez » sont-ils avancés ?

FRÈRE PAUL BALENZA(FPB) : Les travaux de studio sont pratiquement terminés. L’ingénieur Zola Tempo et moi avons programmé d’ores et déjà un voyage pour l’Afrique du sud où nous allons procéder au mastering pour une sortie prévue entre fin avril et la mi-mai. Notre séjour durera six jours. À Kinshasa, la distribution sera confiée à la maison Sebig Sprl de Lando Batibuka et en Europe, ce sera la Maison Diego Music. L’album comportera 8 titres : « Zua lokumu », « Congo sepela », « Naponi yesu », « Nalanda Ye », « Se Yo », « Mungu wangu », « Digne de louange », « Bokonzi bwa likolo »

  • L'affiche annonçant la sortie du nouvel album de Fr. Paul Balenza | Crédit photo: ©FPB
    L'affiche annonçant la sortie du nouvel album de Fr. Paul Balenza | Crédit photo: ©FPB

AEM : « Congo sepela » une chanson dédiée à la RDC, vous endossez le costume d’un artiste engagé ?

FPB : Engagé ? Pas tellement. Le fait est que, en dehors de la Bible, je tire mon inspiration des faits sociaux. C’est ainsi que, précédemment, j’avais déjà écrit des cantiques sur la société en l’occurrence sur l’interruption volontaire de grossesses, sur les enfants de la rue, sur la chasteté, sur les conséquences du divorce, sur la femme moderne « Muasi ya tango ya sika » ou encore « Amour infini », un autre sorti en 2000 interprété avec Déo Brondo, Joscky Kiambukuta, Florence Mabaya d’Anti-Choc, Ramazani de Viva la Musica, Jean Goubald Kalala… Des artistes que je n’aime pas qu’on appelle des musiciens mondains ou profanes, je parlerais plutôt des musiciens de divertissement. Car, outre la musique de divertissement il y a plusieurs styles de musique non chrétiennes qu’on ne peut pourtant pas qualifier de sataniques : c’est le cas de la musique patriotique, de la musique classique, de la musique de jazz, de la musique militaire… Pour moi, tout ce qui respire vient de l’Éternel.

Cela dit, dans « Congo sepela », j’explique que Dieu aime tellement le Congo, qu’Il l’a doté de toutes les richesses, mais ces richesses ne profitent pas aux fils du pays, et ce par manque d’amour, par égoïsme et à cause des injustices sociales… Pour dire que Dieu aime le Congo, mais nous-mêmes les fils de ce pays, n’aimons pas le Congo.

AEM : Les mélomanes soulignent de plus en plus la dépravation des mœurs induite par certains groupes musicaux…

FPB : La musique de l’Ok Jazz, Bana Ok, Wenge, Viva la Musica, Q. Latin etc a induit les jeunes en erreur, détruit les mœurs. Notre musique, en revanche, contribue à réparer, à limiter les dégâts. Cette musique est largement diffusée sur plusieurs chaînes, accompagne les gens dans des fêtes, en famille, dans la vie de tous les jours… et on ne peut s’en passer. Elle a donc un impact réel…

AEM : L’Église en général et l’Église catholique en particulier traverse une crise profonde, à quoi attribuez-vous ce déclin de la religion chrétienne, cette perte de la foi ?

FPB : Au Congo et ailleurs en Afrique, c’est vrai, on assiste à une grande crise de vocation et cette situation est liée à la pauvreté. Les gens ont plus tendance à verser dans la politique. Les nouveaux prêtres se font rares et les anciens exercent plus par routine. Les gens vont au séminaire non pas par vocation mais pour le « pouvoir » une fois devenus prêtres. Pour ainsi se faire de l’argent sur le dos des fidèles. Les églises de réveil rançonnent les fidèles, et c’est le sexe et l’argent qui prévalent. Ces pasteurs profitent de la misère des populations et ceux qui voyagent en Europe y vont surtout pour faire fortune et non pas forcément pour évangéliser.

AEM : Comment faire pour restaurer la confiance, pour ramener les brebis égarées à la maison ?

FPB :Privilégier la parole, le message, favoriser l’éclosion des vocations, renforcer la catéchèse encadrer les jeunes, prendre en charge les prêtres, instaurer la discipline et sanctionner les délits.

  • L'affiche annonçant la sortie du nouvel album de Fr. Paul Balenza | Crédit photo: ©FPB
    L'affiche annonçant la sortie du nouvel album de Fr. Paul Balenza | Crédit photo: ©FPB

AEM : Sur le plan social, on sait ce que l’Église a apporté aux populations en matière de scolarisation, de la formation, et de l’encadrement (mouvements de scout, Xavéri, chorale et autres). Qu’en est-il aujourd’hui ?

FPB : La plupart de ces mouvements ont été interdits par le régime Mobutu. On doit en effet penser à les recréer. Il en existe encore mais très peu, c’est le cas de La légion de Marie, de Bilenge ya mwinda, du ministère des jeunes du renouveau catholique (Mijerca), du groupe KA Anuarite…

AEM : Kinshasa est en proie à une recrudescence inexorable depuis plusieurs années du phénomène des gangs dits « kuluna », à celui des enfants sorciers désignés tels par des églises de réveil et à l’accroissement de la population des enfants de la rue pour cause des parents qui ont démissionné… Comment sortir de tout cela ?

FPB : Des actions doivent être envisagées mais cela doit résulter d’une étude profonde et minutieuse de la société. Un chant d’éveil ne peut rien face à la situation de crise aggravée que traverse notre société : les parents étant impayés ne sont pas démissionnaires mais subissent et on voit des enfants de 13 ans nourrir des familles. Ceux qui ont le pouvoir et de l’argent ne vont plus dans les bars ou dans des espaces noirs mais dans la rue où ils trouvent ces gamines dont ils font « leur proie » pour une poignée de francs congolais.

À l’époque de Père Franck, il n’y avait pas plus de 45 enfants de la rue, aujourd’hui, on est à la troisième génération. Donc, beaucoup de ces enfants de la rue ont aujourd’hui atteint la majorité et représentent un électorat potentiel. D’où, le peu de volonté des politiques d’éradiquer le phénomène « kuluna » car les candidats comptent sur cette masse pour se faire élire facilement. D’ailleurs, la plupart des « kuluna » envoyés à l’intérieur du pays pour rééducation reviennent dans la capitale sans être inquiétés et sans avoir été rééduqués.

AEM : Et pourtant, le Congo est censé être une grande nation chrétienne

FPB : Dans une rue, à Kinshasa, on compte au moins 15 églises, mais il n’y a pas de vraie conversion. On trouve tout cela aussi à l’église… Car, ce sont ces mêmes personnes qui fréquent les églises. Ce n’est donc que le reflet de la société. Dans ces églises, on demande de l’argent pour une « consultation », pour prier pour les enfants dits « sorciers ».

AEM : Vous êtes-vous déjà ouvert aux autorités à ce sujet ?

FPB : Je ne suis pas le mieux placé, mon rôle est de chanter, de véhiculer le message dans ce que je maîtrise le mieux. Dans l’église catholique il y a des normes, il y a la conférence épiscopale et tout se passe à ce niveau. D’ailleurs, actuellement, il n’y a pas un bon courant entre la classe politique et l’église.

AEM : Vous êtes très proche du chanteur Jossart Nyoka Longo, qu’est-ce qui vous lie ?

FPB : Nyoka Longo est pour moi plus qu’un frère. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup soutenu dans ma vie tant artistique que familiale. Quelqu’un avec qui nous avons parcouru un chemin spirituel remarquable. Je ne le considère pas comme un musicien mais comme un grand frère de sang, voilà pourquoi je suis attaché à lui. | Propos recueillis par Jossart Muanza (AEM)

  • L'affiche annonçant la sortie du nouvel album de Fr. Paul Balenza | Crédit photo: ©FPB
    L'affiche annonçant la sortie du nouvel album de Fr. Paul Balenza | Crédit photo: ©FPB