Jimmy Yaba : « C’ est pour contenter Matima qu’on m’a converti à la mi-solo»

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Les musiciens et les proches de Zaïko l’appelent familièrement « Chef Jimmy » et c’est tout dire. Jimmy Yaba, avec N’Yoka Longo bien sûr, Petit Poisson et Gégé Mangaya, est de ceux qui sont chargés à chaque production scénique et discographique du groupe de bien apposer l’empreinte ZAÏKO.

L’un des plus instruits du groupe, Jimmy Yaba est un personnage très intelligent, réfléchi, éclectique qui a fait ses premières gammes dans …le jazz et le blues. Il en a gardé une culture vaste qui lui permet souvent de prendre de la hauteur par rapport à certains débats qui occupent autant la rue kinoise que …la presse musicale congolaise.

Son important apport dans la vie de Zaïko n’est pas mis en valeur ? Jimmy ne s’en offusque pas, il répond juste avec un sourire, sans aigreur. Il ne recherche pas forcément la lumière, la gloire, mais ça ne l’aurait pas gêné que l’on saisisse aussi sa part de créativité dans l’instrumentation de Zaïko qui fait référence, et qu’on se rende compte qu’après la désertion du soliste Daniel, en l’absence de l’autre soliste Tshanda, la maison est bien tenue, les concerts toujours aussi magiques. Pendant, une heure au téléphone, Jimmy Yaba nous a « instruits »sur son itinéraire.

AFRIQU’ÉCHOS MAGAZINE (AEM) : La carrière musicale que vous avez aujourd’hui serait-elle la concrétisation d’un rêve d’enfance ou d’adolescence ?

JIMMY YABA MBUKU (JYM) : Pas spécialement. J’ai reçu une éducation plutôt stricte d’un père militaire qui pariait plutôt sur les études. Et effectivement, j’ai essayé de lui donner satisfaction. Après mes études primaires et secondaires à Matete, j’ai commencé les études d’architecture d’intérieur à l’Académie des Beaux-Arts avant de poursuivre à la Faculté de théologie catholique où j’ai fait la philosophie.

Mais pendant tout ce temps, la musique était mon hobby principal avec un apprentissage théorique et pratique très influencé par le jazz et le blues grâce à un oncle qui avait une discothèque très fournie des disques de ces musiques. J’avais même monté un groupe « Jimmy and Co » qui jouait régulièrement du jazz et du blues dans des boîtes du centre-ville. Mais parallèlement, j’étais formé, pour la musique congolaise typique, par des aînés de talent comme Mafu et Mavatiku tout en m’inspirant beaucoup du travail de Jerry Gérard qui évoluait à Brazzaville. Ce qui m’avait permis de jouer avec un orchestre à Matete et un autre à Lingwala où justement Zamwangana Enoch m’avait repéré.

AEM: C’est Zamwangana qui vous a donc recruté ?

JYM : Non, je suis passé par une sélection et j’ai été choisi parmi 40 autres guitaristes qui avaient répondu à un appel à candidatures pour remplacer Tshimpaka Roxy qui, lui-même, avait remplacé Manuaku Waku. Dans ce groupe de 40 guitaristes, il y avait de grosses pointures comme Yossa Taluki de Bakuba Mayopi et surtout Kinzunga Ricos… Ce qui m’avait rendu pessimiste quant à mes chances au point où j’ai failli repartir sans passer le test. Mais quand, j’ai entendu ces derniers jouer, je me suis rendu compte qu’ils avaient arrêté de travailler depuis un moment et cela me redonna espoir.

Je passai donc parmi les derniers. A la fin, on demanda à tous les candidats de repartir et d’attendre d’être contactés ultérieurement. Sur le chemin de retour, je fus rattrapé, à plus d’un kilomètre du lieu du test, par Sonnerie qui me demanda de les rejoindre avec Zamwangana qui nous attendait car c’est moi qui avais été retenu et qu’ils ne voulaient pas annoncer le choix devant les autres candidats pour ne pas les vexer.

AEM : Vous avez donc été recruté comme soliste…

JYM : Exact ! Mais les choses ne semblaient pas si simples. Apparemment, Matima n’était pas emballé à l’idée de recruter un soliste pendant que lui était là. Zamuangana a pesé donc de tout son poids et je pense qu’il a reçu ensuite le soutien de Jossart. Et pour installer les choses en douceur, ils m’ont suggéré de jouer la guitare mi-solo le temps que Matima « digère » mon arrivée. Et puis, entre-temps Popolipo est arrivé aussi. Et moi j’ai commencé à me plaire à la mi-solo et j’y suis resté jusqu’aujourd’hui. Cela au grand dam de beaucoup de musiciens qui m’ont connu soliste comme feu Lele Sundi, Shakara…

AEM : Cette conversion « forcée » aurait-elle eu une influence dans votre décision d’aller évoluer dans « Familia dei  » ?

JYM : Alors là, pas du tout ! D’ailleurs avec du recul, aujourd’hui je ne peux même pas énumérer, avec précision, les raisons qui nous avaient poussés à quitter Zaïko. Car, quand je découvrais les motivations avancées par Bimi Ombale et Ilo Pablo, elles n’étaient pas forcément les mêmes et pas toujours convergentes. Et puis, comme c’est la majorité de musiciens qui quittait le groupe, je n’avais pas le sentiment de changer d’orchestre et ce d’autant plus que la ligne artistique n’avait pas changé…

AEM : C’est étonnant votre réponse ! Peut-être que la scission finalement aurait été la conséquence de l’accumulation des conflits latents non résolus, des frustrations, des incompréhensions insuffisamment prises en compte… et des ambitions personnelles non-avouées ?

JYM : Je pense qu’il y avait un peu de tout cela. Je dirais même que cette séparation a été l’œuvre d’une force de la nature que je ne pourrais clairement décrire. Avec du recul, je me dis que cette situation devait avoir lieu… En effet, autant au début, je n’avais pas le sentiment de changer de groupe, autant après ma réintégration dans Zaîko, je me suis rendu compte que Familia Dei était autre chose, quelque chose de différent où, très vite. la cohésion et la confiance entre nous s’étaient volatilisées.

AEM : Vous étiez ainsi très disposé à rentrer au bercail…

JYM : Je ne sais pas si personnellement, j’aurais eu la force et le courage de le faire sans la médiation de mon oncle, professeur Pombo Nguza qui travaillait dans une brasserie qui soutenait Zaïko. Et puis, il faut avouer que c’était moins humiliant parce que Jossart n’avait pas manifesté une quelconque hostilité à ce sujet, il s’était montré très conciliant.

AEM: Quelles seraient les plus grandes satisfactions de votre carrière ?

JYM : Sans hésitation, l’album Nippon Banzaï, le plus grand succès international de notre orchestre. Si c’est Matima qui s’était occupé des enchaînements des extraits des chansons, c’est moi qui ai réalisé les arrangements, qui ai assuré le remodelage car il ne s’agissait pas seulement d’aligner les chansons les unes après les autres en gardant les arrangements des versions originales. Quand j’écoute aujourd’hui cet album, j’éprouve un vrai plaisir et une certaine fierté.

Je citerai également les quatre premières chansons de « Familia Dei » dont j’avais réalisé entièrement les arrangements. Et dans ce lot, je sortirai en particulier la chanson « Oiseau rare » de Bakunde Ilo Pablo. Ecoutez la version originale sortie quelques années plus tôt avec Bozi, ça n’a rien à voir ! Je ne dirais pas que la deuxième version est meilleure, mais c’est autre chose et les gens ont été unanimes pour dire que la musique était superbe.

Dans les faits marquants de ma carrière, je pourrais également citer certains grands noms de la musique internationale que j’ai côtoyés quand ils venaient écouter Zaïko avec respect et admiration. Je citerai notamment Jacob Desvarieux et Youssou N’Dour.

AEM : Pour terminer, quelles seraient les guitaristes que vous appréciez ou admirez ?

JYM : Docteur Nico qui me laissait indifférent en tant que mélomane jusqu’à quand j’ai appris la guitare, Jerry Gérard, Mbumba Attel, Mavatiku Visi Michelino, Tshimpaka Roxy, Beniko Popolipo, Avedila Petit Poisson, Zamwangana Enoch, Oncle Bapius, Shakara…|Botowamungu Kalome (AEM)