On ne peut faire plus ubuesque, plus ridicule : Gilbert Kabanda, ministre de la défense, vient de porter plainte contre un journaliste pour avoir tweeté un extrait du compte-rendu (officiel) d’un conseil des ministres. Oui, vous avez bien lu : le journaliste Stanys Bujakera est poursuivi pour avoir repris mot pour mot un compte-rendu du gouvernement qui évoquait les difficultés des Forces armées de la République Démocratique du Congo face à la rébellion M23.
Les jérémiades du ministre sont pourtant consignées noir sur blanc dans le compte-rendu : « L’armée rwandaise ne voile plus son invasion notamment par l’amassement des troupes, lequel justifie leurs avancées sur le terrain, étonnamment sans réaction aucune des forces de l’EAC pourtant présentes sur les lieux ». Voici ce qu’en a dit le tweet du journaliste qui a amené le ministre à enfiler son treillis : « Le ministre de la défense nationale confirme l’avancée sur le terrain, du M23/RDF et s’étonne du manque de réaction des forces de l’EAC présentes sur les lieux. Pour le ministre, cette avancée se justifie par ‘l’amassement’ récent des troupes RDF au Nord-Kivu ». Comment expliquer les dénégations du ministre qui, à priori, réunit les conditions intellectuelles pour assumer cette charge : « Faux bruit, apologie de M23/RDF » et qui décrit les ravages provoqués par ce tweet qui ne reprend que la communication du gouvernement : « tendance au soulèvement contre les autorités du pays, spécialement son Excellence le ministre de la défense ». Interdit d’en rire.
Le ministre Kabanda renie sa parole avec aplomb… avant le chant du coq
Pris d’une rage qui mettrait en déroute l’armée rwandaise et le M23, le ministre précise le caractère séditieux du tweet incriminé : « Il s’avère évident que Monsieur Stanys Bujakera Tshiamala a tweeté dans le but d’alarmer la population et de démoraliser nos vaillants soldats qui se sacrifient jour et nuit pour le pays face aux agresseurs du M23 soutenus par les Rwandais ». Le ministre nous apprend ainsi que tous les matins les militaires au front puisent leurs forces ou les perdent en parcourant assidûment Twitter…
Cependant, lorsque dans sa plainte le ministre s’emploie à démontrer l’ampleur des dégâts causés par le tweet, on se rend compte que préserver son fauteuil se substitue à la situation au front : « Rien qu’à la date du 5 mars 2023 où le Tweet a été mis sur la toile, il y a eu 142 commentaires dénigrants et insultants à l’encontre de son Excellence Monsieur le ministre de la Défense, 114 personnes ont retwitté ce message erroné auquel une frange de la population a réagi dans le sens de mépriser ce dernier ou de réclamer sa démission ».
Retirer son smartphone à Stanys !
Le journaliste Stanys Bujakera n’est pas à son premier tweet « tendancieux » envers le pouvoir. Lorsque Félix Tshisekedi arrive aux affaires, dans ses premières ordonnances il nomme Stanys Bujakera dans son équipe de communication; le longiligne journaliste lui répond via Twitter : « Ni demandeur ni preneur ». Le petit oiseau bleu devrait lui souffler à l’oreille : « Twitter pourrait arracher un beefsteak à un ministre de la République ».
Tiens, un détail amusant pour finir : le colonel conseiller juridique du ministre qui a signé la plainte adressée à l’auditorat militaire s’appelle Mbutamuntu Awirande Parfait. Mbutamuntu signifie homme mûr, sage, toujours de bon conseil.|Botowamungu Kalome (AEM)