Le druide (Professeur Raoult), la potion magique (la chloroquine), la Gaule (Marseille), César (Edouard Philippe) et les Romains (covid-19)

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Jamais une crise mondiale n’avait autant donné de l’épaisseur aux thèses complotistes : science-fiction, déclarations politiques, prévisions sanitaires ou géopolitiques, quelques clics sur le net suffisent pour rassembler assez de matériaux pour crédibiliser la thèse d’un « virus sorti des laboratoires pour engraisser l’insatiable industrie pharmaceutique des pays occidentaux ». Et pour compléter le tableau, la France a traduit dans la réalité une version ubuesque de la bande dessinée Astérix. Au cœur de la  polémique : une potion magique (la chloroquine) préparée par un druide (le professeur Raoult), la Gaule une cité imprenable (l’Institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de Marseille et la ville de Marseille) réfractaires au diktat de César et de Rome (Edouard Philippe et Paris) et irréductibles face aux Romains (covid-19). Au cœur de la controverse : faut-il généraliser le traitement par la chloroquine ? Si le monde médical et scientifique est partagé, fort de sa gouaille légendaire des Marseillais à la Roland Courbis, avec ses airs du druide Panoramix, le professeur Didier Raoult domine largement la bataille de l’opinion, à raison ? Pas tout à fait.

Les atermoiements du gouvernement français et les réserves d’une partie de l’élite scientifique pour généraliser l’administration de la chloroquine ne résistent pas à une cinglante réplique du professeur Eric Chabrière, membre de l’équipe du professeur Didier Raoult, sur LCI : « Il y a actuellement 30.000 personnes contaminées en France, c’est moins que le nombre de personnes en bonne santé à qui on prescrit à titre préventif la chloroquine, par an, parce qu’elles voyagent vers l’Afrique. Les effets indésirables, on le sait, sont minimes ». En face, on leur oppose le non-respect intégral des procédures notamment le faible nombre de personnes soignées (22) pour s’enthousiasmer.

Revue des arguments et contre-arguments  

  1. Testée sur 24 patients par le professeur Raoult et ses équipes, la chloroquine a permis la diminution significative de la charge virale au bout de 6 jours avec une nette amélioration des signes cliniques. Une précision qu’on ne relève pas assez : ce dérivé de la chloroquine l’hydroxychloroquine est associé à l’antibiotique l’azithromycine. Et cette dernière molécule a des propriétés à la fois antibactérienne et antivirale.
  2. La plupart de critiques contre le protocole initié par le professeur marseillais repose sur trois éléments : le nombre faible de personnes testées, l’absence d’un groupe témoin similaire soigné au placebo et le fait qu’au bout de 10 jours les symptômes moins graves s’estompent d’eux-mêmes pour finir par une guérison sans traitement.
  3. Pour renforcer ses conclusions, la team des Marseillais est passé à des tests sur 80 patients. Le journal Le Parisien signale alors que « 65 patients (81%) ont connu « une évolution favorable » et sont sortis de l’hôpital au bout de moins de cinq jours en moyenne, un patient de 74 ans était toujours en soins intensifs au terme de l’étude et un autre de 86 ans était mort ». En face, selon l’AFP, deux études chinoises rappellent que « 10 jours après le début des symptômes, 90% des gens qui ont une forme modérée de la maladie ont une charge virale contrôlée ». Et selon une spécialiste, le fait d’aboutir à des résultats similaires sous hydroxychloroquine « ne plaide pas pour un effet majeur de l’hydroxychloroquine sur la charge virale ». À l’avantage des médecins de Marseille, un élément de taille : ce traitement réduirait en plus la période de la contagiosité.
  4. La question du « groupe témoin » a donné lieu à des arguments surréalistes : le ministre de la santé tranche net qu’on ne peut tirer des conclusions pour des essais cliniques sur peu de personnes et en l’absence de traitement par placebo d’un groupe correspondant. En même temps, l’on peut se demander si le ministre lui-même était atteint par ce virus, accepterait de faire partie du groupe témoin qu’on laisserait sans traitement… L’iconoclaste professeur lui a réservé une réponse étonnante : « On pourrait tester l’efficacité du parachute en demandant à un groupe de gens de sauter d’un avion avec et un autre de sauter sans ».
  5. Ceux qui soutiennent Raoult s’étonnent des tergiversations du gouvernement français qui a semblé lâché du lest mais qui, ensuite, a élargi les essais cliniques tout en délimitant d’une manière serrée le périmètre autour d’une prescription quasi exclusivement par l’hôpital. Une restriction que beaucoup de médecins passent outre sans s’en cacher. Pour ces derniers, Macron ne peut pas déclarer que la France est en guerre contre le covid-19 et réserver sa réponse à la fin des essais cliniques dans… 8 semaines alors que les morts se comptent désormais par plusieurs centaines par jour.
  6. La frilosité du gouvernement français reposerait sur des précédents entachés des scandales du sang contaminé, du médicament Médiator, des hormones de croissance… Le pouvoir français craint, en effet, devoir réponde après la pandémie d’un scandale de santé publique si la chloroquine provoquait des effets secondaires désastreux à grande échelle.

« Ils sont fous ces Romains »

Pour l’équipe de l’Institut hospitalo-universitaire de Marseille, à Paris on (le gouvernement) marche sur la tête. « Ils sont fous ces Romains » s’écrierait Astérix vitaminé par la potion magique et terrassant par paires des Romains. De quoi  réveiller la vieille et bonne rivalité Paris-Marseille que cristallisent à son paroxysme les clubs de foot des deux villes. Ainsi les supporters de l’Olympique de Marseille ont placardé une immense banderole sur l’institut dirigé par le professeur fantasque : « Raoult, Marseille et le monde te soutiennent ».

Et pour couronner le tout, Trump s’est fendu d’un soutien solennel au professeur marseillais qui, bien évidemment, s’en gargarise. En même temps, l’avis du président américain sur une question aussi éminemment médicale vaut mon point de vue pour départager deux groupes d’astronomes de très haut niveau.|Botowamungu Kalome (AEM)