RDC|État d’urgence : pourquoi l’article 119 de la Constitution est mal écrit

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Pour faire face à l’épidémie Covid 19, le Président de la République a décrété l’état d’urgence le 24 mars 2020. Il est incontestable qu’aux termes de la Constitution la proclamation de l’état d’urgence relève de la prérogative du Président de la République seul.Le Président du Sénat, sans remettre en cause l’opportunité de l’état d’urgence, estime néanmoins que sa déclaration par le Président de la République était subordonnée à l’autorisation préalable duParlement réuni en Congrès. Le Président de la Chambre haute du Parlement a basé son  argumentation sur l’article 119 de la Constitution.

Il s’en est suivi une mini-crise institutionnelle et constitutionnelle au cours de laquelle des juristes de toutes branches du droit se sont escrimés avec un acharnement féroce, pilonnant l’opinion d’argumentations contradictoires, selon qu’ils étaient du bord présidentiel ou du camp parlementaire, et contribuant ainsi à embrouiller le débat, au lieu de l’éclairer.

Dans cette contribution, nous avons fait le choix de faire totalement abstraction des démonstrations partisanes des uns et des autres, et de ne nous focaliser que sur le texte de la discorde : l’article 119. Et en examinant cet article sous toutes ses coutures, nous avons découvert, avec stupéfaction, que c’est lui le coupable de toute cette agitation : il est mal écrit ! Il est mal rédigé en son point 2°, d’abord en ce qu’il opère un renvoi fâcheux, ensuite et surtout par la soumission erronée des situations qu’il vise au même régime d’autorisation. Et nous verrons que c’est cette double maladresse du Constituant qui est à la base de la crise actuelle. Nous n’évoquerons pas dans ces lignes l ’état de siège car, d’une part, tel n’est pas l’objet du débat, et, d’autre part, la Constitution l’assimile systématiquement à l’état d’urgence dans son traitement constitutionnel, bien que, dans la pratique, ces deux situations soient soumises à des modalités législatives et administratives différentes.

I/ Le mauvais renvoi de l’article 119 

Lorsqu’on lit attentivement l’article 119, on s’aperçoit que son unique objet se limite à énumérer mécaniquement les cas de tenue du Congrès.

En son point 2°, pour ce qui concerne l’état d’urgence, l’article 119 renvoie à l’article 85 de la Constitution. De ce point de vue, en ne conservant que les éléments du texte qui intéressent notre débat, la proposition de la Constitution peut s’écrire de la façon suivante : « Les deux Chambres se réunissent en Congrès pour… l’autorisation de la proclamation de l’état d’urgence… conformément aux articles 85 et 86 de la présente Constitution ». Or, l’article 85, sur lequel l’article 119 prend appui pour justifier la réunion des Chambres en Congrès, ne mentionne aucunement… le Congrès.

L’article 85, après avoir posé le principe de proclamation de l’état d’urgence par le Président de la République, se contente d’énumérer les personnalités avec lesquelles le Président de la République est appelé à se concerter. On ne trouve la moindre allusion au Congrès dans cet article 85 qui, en définitive, n’est pas pertinent pour la justification de la réunion des deux Chambres en Congrès. La seule disposition constitutionnelle qui comporte l’organisation procédurale de l’état d’urgence incluant la réunion des deux Chambres en Congrès réside dans l’article 144, auquel le Constituant a oublié de faire renvoi dans l’article 119.

Car, c’est conformément à l’article 144 que les deux Chambres se réunissent en Congrès, et non l’article 85 ! Il s’agit là, assurément, d’une mégarde du Constituant, puisque l’article 85, auquel il est malencontreusement fait renvoi et qui ne pose pas de condition d’autorisation, entre immédiatement en conflit avec l’article 119 qui, lui, subordonne la proclamation de l’état d’urgence à l’autorisation du Congrès.

II/ L’autorisation de proclamation

Nous rappelons que l’article 119 se contente de rassembler en un seul endroit les causes d’occurrence du Congrès déjà prévues et réglementées par d’autres articles disséminés à travers la Constitution. Ce qu’accrédite la répétition systématique de la formule « conformément à l’article…ou conformément aux articles… » contenue dans chacun des quatre cas recensés. Ainsi donc, l’article 119 ne crée ni ne réglemente, par lui-même, aucune cause pour la tenue du Congrès. Pour découvrir l’aménagement procédural d’un cas de Congrès, il convient donc de se reporter sur les articles auxquels renvoie l’article 119 pour chaque cas. En ce qui concerne la déclaration de guerre, les articles 86 et 143 stipulent que cette prérogative appartient au Président de la République, avant de préciser expressément que celui-ci ne peut exercer ce pouvoir seulement « après autorisation » de l’Assemblée nationale et du Sénat, donc du Congrès. En revanche, pour ce qui est de l’état d’urgence, son aménagement procédural qui réside, nous l’avons vu, dans l’article 144, ne prévoit aucun préalable d’autorisation pour sa proclamation par le Président de la République. La seule exigence d’autorisation que mentionne l’article 144 est celle que doit obtenir auprès du Congrès le Président de la République, avant toute prorogation de l’état d’urgence.

En stipulant que « Les deux Chambres se réunissent en Congrès pour… l’autorisation de la proclamation de l’état d’urgence ou de l’état de siège et de la déclaration de guerre… », l’article 119 sort de son rôle strict de simple énumération en soumettant, par erreur d’inadvertance du Constituant, l’état d’urgence et la déclaration de guerre au même régime d’autorisation, alors que les articles 143 et 144 qui réglementent de ces deux situations, prévoient deux régimes bien distincts. Cette erreur d’inattention du Constituant, combinée avec le mauvais renvoi qu’opère l’article 119 vers l’article 85, conduit fatalement au conflit entre ces deux textes. Ce conflit qui aurait dû demeurer un cas d’école, a débordé la sphère théorique pour se concrétiser entre le Président de la République et le Président du Sénat à la faveur de l’épidémie Covid 19. Si nous osons dire…Si la Cour constitutionnelle a mis fin à la crise en décidant que la proclamation de l ’état d’urgence le 24 mars dernier par le Président de la République n’était pas inconstitutionnelle, le Président du Sénat n’est cependant pas à blâmer, loin de là, car il s’est basé sur un texte clair, mal rédigé certes, mais clair.

En effet le funeste article 119 stipule clairement et sans ambiguïté que les deux Chambres se réunissent en Congrès pour l’autorisation de la proclamation de l’état d’urgence. Il y a donc, d’un côté, des juristes qui brandissent la règle selon laquelle on n’interprète pas un texte clair, on l’applique. De l’autre côté, il y en a ceux qui se prévalent de règles d’interprétation téléologique, contextuelle, etc…

Or une disposition de la Constitution ne devrait pas être confuse, ni prêter le flanc à interprétation, spécialement celles qui, comme l’article 119, associent temporairement des institutions pour la gestions de situations sensibles. Les juristes devraient donc taire leurs préférences partisanes, redevenir hommes et femmes de droit et avoir le courage de reconnaître que le Constituant s’est trompé au sujet de l’article 119. Toujours au sujet de cet article 119, le Constituant s’est également trompé en oubliant d’inclure dans son recensement le cas de tenue du Congrès pour la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre conformément à l’article 166. Puisque la décision de la Cour constitutionnelle s’est penchée du côté présidentiel, et pour en tirer toutes les conséquences, nous souhaitons que l’article 119 soit réécrit afin de préserver la Nation de ce genre de turbulences dans l’avenir. Il ne s’agira pas d’une révision constitutionnelle mettant en oeuvre la lourde mécanique de l’article 218, mais d’une simple rectification de texte autour d’un consensus entre Juristes et Politiques. Pour notre part, nous proposons la rédaction suivante pour le nouvel article 119, après avoir modifié le point 2° et ajouté le point 5° :

Article 119

Les deux Chambres se réunissent en Congrès pour les cas suivants :

  1. la procédure de révision constitutionnelle, conformément aux articles 218 à 220 de la présente Constitution ;
  2. l’autorisation de la déclaration de guerre et de la prorogation de l’état d’urgence ou de l’état de siège conformément aux articles 143 et 144 de la présente Constitution ;
  3. l’audition du discours du Président de la République sur l’état de la Nation, conformément à l’article77 de la présente Constitution ;
  4. la désignation des trois membres de la Cour constitutionnelle, conformément aux dispositions de l’article 158 de la présente Constitution ;
  5. la décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre, conformément aux dispositions de l’article 166 de la présente Constitution.

Par la même occasion, on en profitera pour redresser l’erreur matérielle contenue dans le cinquième alinéa de l’article 144, car le délai qu’il croit viser à l’alinéa 3 se trouve en fait à l’alinéa 4. Et, dans la foulée, on corrigera également l’erreur de sémantique figurant à l’alinéa 1er de l’article 143 in fine : remplacer « autorisation de deux Chambres » par « autorisation des deux Chambres », car les Chambres dont il est question sont toutes bien déterminées et ne sont qu’au nombre de deux. Pourvu qu’il n’y ait pas d’autres errements… Lorsqu’on tarde à réparer les fissures dans un mur, celui -ci finira un jour par tomber sur vous. | Claude Manguli, Juriste, Paris