Quelques idées pour revivifier la presse congolaise

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Objectif à assigner à la presse:

Participer à la construction d’une citoyenneté locale, nationale et internationale

Qu’entends-je par citoyenneté ? Le dictionnaire Larousse la définit comme « Situation positive créée par la pleine reconnaissance aux personnes de leur statut de citoyen » et ajoute « Le citoyen dispose, dans une communauté politique donnée, de tous ses droits civils et politiques. ». Le dictionnaire Trésor abonde dans le même sens et ajoute une nuance : « Membre d’un État et qui de ce fait jouit des droits civils et politiques garantis par cet État. »

Il y a une dimension que j’aimerais ajouter à ces définitions qui présentent le citoyen essentiellement comme bénéficiaire des droits, octroyés et garantis par la communauté, par l’État. Vue sous cet angle, la citoyenneté ne relève pas assez la dimension « conquête des droits », celle du citoyen acteur des évolutions de sa société, acteur de la consolidation et du renforcement de ses droits, acteur de son ancrage à la marche du monde à l’échelle locale, nationale et internationale.

Quel lien avec la presse ?

Pour devenir acteur dans la marche de son quartier, de son village, de sa ville, de son pays, de son continent et du monde, la première condition serait d’avoir pleine connaissance et pleine conscience des différents enjeux sociaux, économiques, politiques, philosophiques et culturels. C’est ici que le rôle de la presse pourrait devenir essentiel. Il lui reviendrait, non pas de formater les citoyens dans l’esprit du « Commissariat d’État à l’Orientation nationale » créé par Mobutu et confié à Sakombi Inongo dans les années 70, mais d’aiguiser l’esprit critique des citoyens afin qu’ils soient en mesure d’avoir une lecture critique des faits pour déterminer leur adhésion politique et leur engagement social.

Contrairement aux médias privés qui sont au service d’un objet strictement économique, politique, philosophique ou religieux, il n’y aurait rien de scandaleux à ce qu’un média public aide le citoyen à réaliser que l’intérêt individuel n’est pas appelé à se diluer dans l’intérêt général, mais à y puiser sa légitimité, à y trouver sa solidité, sa pérennité.

Quelques pistes de traduction dans les faits de ces postulats

1. L’Agence Congolaise de Presse pourrait générer de 50’000 à un million de dollars par mois

Qui se souvient encore de l’existence de l’ACP ? Plus personne, à part ses journalistes pour leurs salaires. Même le ministre de tutelle n’a jamais accordé la moindre interview à cette agence, il n’a jamais envoyé même un communiqué d’une ligne à ce média. Qui le ferait d’ailleurs alors que l’audience de cette agence est nulle, inexistante ? On ne demandera pas à un muet de colporter une nouvelle. L’ACP est tellement moribonde que même le candidat Seth Kikuni a eu honte de la proposer à la vente. Et pourtant…

Et pourtant, cette agence est une poule aux œufs d’or. Qui s’ignore. À l’époque où les télécommunications étaient encore rudimentaires, fort de son réseau de télex et de ses agencerégionales, l’Agence Zaïre Presse (AZAP) assurait la plus grande couverture du pays de la presse écrite. Cette agence de presse était la plus grande pourvoyeuse en informations régionales, nationales et internationales fraîches de tous les autres médias, des ministères, des ambassades. Malheureusement, faute de n’avoir pas suivi l’évolution technologique, l’agence est tombée en désuétude comme ses moyenâgeux téléscripteurs.

Depuis, un génie s’est révélé : en créant Actualite.cd, Patient Ligodi a donné à voir ce que devrait être une agence de presse : un recours intelligent au numérique, en adaptant notamment les articles au smartphone, le terminal le plus populaire en RDC. Avec une écriture adaptée à la consommation des informations sur le smartphone et en s’appuyant sur le numérique pour produire et diffuser à moindre coût les informations, Actualite.cd, propose un format original et adapté aux dernières évolutions sociologiques et technologiques.

Si hier, il fallait des agences régionales avec une rédaction nombreuse à Kinshasa et une imposante technologie, l’ACP pourrait s’appuyer, aujourd’hui, sur un vaste réseau national de correspondants à travers le pays et dont l’outil de travail pourrait se réduire à un smartphone qui leur servirait à la fois d’appareil photo, de caméra et d’ordinateur portable pour saisir et envoyer des textes, des photos et des vidéos. Ce travail de correspondant pourrait, par exemple, ne pas être la profession principale de tous les correspondants, ce qui limiterait le coût du personnel.

Sur le plan économique, si l’ACP arrive ainsi à couvrir, comme personne, l’actualité du pays en informant plus vite et bien avec photos et vidéos, elle pourrait développer une importante clientèle des particuliers. Avec un bon produit journalistique et une démarche commerciale intelligente et agressive, il n’est pas illusoire de penser que sur les 80 millions des Congolais au pays et à l’étranger, entre 100.000 et un million pourraient décider de s’abonner à 0,50 ou 1 dollar par mois. Ce qui pourrait donner, à moyen terme, des recettes mensuelles qui iraient de 50’000 à 1 million de dollars.

2. La radio-télévision nationale comme trait d’union

Le sentiment national, ce sentiment d’appartenir fièrement à une nation ne se décrète pas. Ni par une propagande style maoïste ou communiste des années 50 et 60, ni en s’inventant des invétérés impérialistes à qui on attribuerait tous les maux dont souffre le pays.

Deux éléments me paraissent importants dans l’émergence du sentiment de communauté de destin au sein d’une nation : les voies de communication et les médias.

Dans un pays aux dimensions d’un sous-continent comme la RDC, si les voies et les moyens de communication étaient dans un excellent état et accessibles au plus grand nombre, il n’y aurait pas que l’activité économique qui en ressentirait le plus grand bien. Les déplacements des personnes sont susceptibles de favoriser le rapprochement des populations. Quand on quitte son lieu de naissance et de vie, on emporte avec soi la culture, la gastronomie, les connaissances médicinales, la poésie, le romantisme de chez soi. De même, quand on accueille un étranger, on ouvre de fait son esprit à la culture de son hôte. Dans la volonté de tolérer les différences de son hôte, on aiguise sa curiosité et on ouvre également sa propre culture à des apports extérieurs positifs. Si ces rencontres se multipliaient, elles renforceraient inéluctablement le rapprochement des Congolais au-delà de leurs différences.

Une petite illustration de ce phénomène. À Kisangani le bugali ou fufu (farine de manioc) n’était pas considéré comme un aliment noble et n’était pas très consommé. Mais, avec l’arrivée, de plus en plus nombreuse, des étudiants Baluba et Bakongo inscrits à l’université et à l’Institut supérieur pédagogique, la consommation de cette farine augmenta tellement qu’on vit apparaître de nombreux « moulins à manioc ». Au fil du temps, le bugali rentra dans les habitudes alimentaires de beaucoup de familles boyomaises.

L’autre pilier de cette interconnaissance et du rapprochement des Congolais devrait être la radio- télévision nationale. L’interconnaissance des Congolais ne saurait se réduire à leurs déplacements ; la radio et la télévision nationales doivent s’atteler à faire circuler l’histoire, les valeurs et pratiques culturelles de différentes tribus et régions, et cela avec pédagogie et un souci prononcé de vulgarisation car montrer ne saurait suffire. Il doit en être de même de l’actualité de tous les coins du pays.

Tout ce qui n’est pas consigné dans les manuels scolaires et qui représente une partie du fondement identitaire du pays, mission devra être confiée à la radio-télévision publique de le promouvoir. Un Congolais ne devrait plus alors dire : « La dot ou la polygamie, c’est notre culture, cela fait partie de nos traditions et coutumes, point barre ». Au-delà, de ce que les sociologues ont publié dans les ouvrages savants et de ce qu’ils enseignent dans les amphithéâtres, la radio-télévision nationale doit pouvoir expliquer que la polygamie reposait sur des fondements différents liés soit à la démographie soit à une conception spécifique des statuts et des rôles des conjoints et des parents dans une société donnée, le tout à des époques bien spécifiques.

Un journalisme qui fasse école

Plus que les médias privés, l’audiovisuel public doit être le garant le plus rigoureux des valeurs du journalisme. Développer et éprouver une expertise qui donne à voir, qui donne à comprendre afin de fournir au lecteur, à l’auditeur et au téléspectateur les matériaux nécessaires pour se construire un point de vue critique personnel éclairé.

Il est louable de définir clairement la mission de l’audiovisuel public, mais il est également souhaitable de dire ce que la radio-télévision nationale ne doit pas ou plus faire. Assurer la couverture médiatique protocolaire de la présidence ou des ministères n’est pas le rôle d’un média public. Les rencontres, audiences, déplacements du chef de l’État et des ministres ne valent que par les incidences qu’ils vont induire. Si un ministre reçoit son homologue d’un pays et si le communiqué qui sanctionne cette rencontre évoque la volonté de renforcer la coopération entre les deux pays, il s’agit là d’un fonctionnement banal d’un gouvernement qui ne nécessite pas d’être rapporté par la radio ou la télévision. Par contre, si des projets sont actés, il y aurait, dans ce cas, de la matière à diffuser.

Dans un autre registre, les journalistes et animateurs de la radio-télévision nationale ne doivent pas penser que croire en Dieu est une évidence ou quelque chose qui s’impose ou qui doit être imposé à tous. De même, l’État devrait imposer des limites aux médias privés d’obédience chrétienne : les mettre en garde sur le fait de soutenir que la médecine serait inefficace et qu’il n’y aurait que la prière qui permettrait d’obtenir la guérison. Un tel discours, qui est une mise en danger délibérée d’autrui, doit être considéré comme une faute grave pouvant amener à l’interpellation, à la suspension voire à la fermeture du média coupable d’un tel discours.

3. Un nouveau management et une ligne éditoriale indépendante du politique

On pourrait me rétorquer que la radio-télévision nationale, de par sa mission de service public, doit vulgariser l’action du gouvernement parce qu’elle vise l’intérêt général, bien évidemment non ! Elle doit simplement informer l’opinion des actions du gouvernement en les remettant bien dans le contexte et en les mettant en perspective. Il y a une subtile et nécessaire distinction qu’il faut faire entre l’activité des ministres et l’action gouvernementale.

Quel pilote dans le cockpit ?

Comment procéder à la désignation ou à la nomination des personnes chargées de mener ce « renouveau » ? Une sélection devrait être organisée au cours de laquelle les différents prétendants présenteraient et défendraient un projet de fonctionnement et de développement qu’ils mettraient en pratique en cas de désignation par un comité de sélection. Ce comité de sélection pourrait être composé des représentants du ministère de tutelle, des enseignants du journalisme, des juristes, des économistes…

Le lauréat serait alors nommé, pour un contrat de 4 à 5 ans, par le ministre ayant en charge la presse. Pour éviter, toute inféodation au pouvoir, la période de son contrat ne devrait pas être calquée sur le mandat de la majorité en place, elle devrait aller un peu au-delà et se trouver à cheval sur deux mandats présidentiels. Ça serait une façon cynique de faire que si une rédaction est tentée de servir le pouvoir en place, qu’elle soit en même temps tentée de ménager le prochain qui pourrait se souvenir de son alignement.

4. Musique et Sports : réhabiliter le propos journalistique

C’est avec la musique et les sports que les médias audiovisuels congolais réalisent leurs plus gros scores d’audience. Autant le peuple est uni dans le sentiment patriotique lorsque les équipes nationales sont en compétition en y recherchant des raisons de fierté à appartenir à la communauté nationale, autant la musique et sa médiatisation ont accru leur influence sur les comportements, sur les langues et sur le langage. Quand, les atalaku crient « Soulevez les mains ! » au lieu de « Levez les mains », cette faute de français va se populariser y compris auprès des personnes instruites. L’on a vu aussi comment les musiciens avaient réussi à donner de la notoriété à des jeunes en proie à la délinquance ou à l’abandon : les New Jack, les Zoulous, les Shégués…

À l’intérieur de la ligne éditoriale qu’il faudrait ramener à des missions nobles du service public, les émissions musicales et sportives mériteraient un regard et un traitement particuliers. De la conception des émissions au choix des animateurs et des présentateurs, il faudrait procéder à une sélection rigoureuse qui aille au-delà d’une promotion administrative.

Quelques critères, du reste classiques, devraient présider à la sélection des présentateurs des émissions sportives et musicales : culture générale, maîtrise très élevée de la langue française, connaissances musicales et sportives, élocution, diction, capacité. Cela va de soi que la maîtrise des genres et des techniques journalistiques resteraient des prérequis obligatoires.

Cela peut paraître incongru ou superflu de faire figurer une telle recommandation dans un tel document: le bannissement des dédicaces (mabanga). On entendrait ainsi moins des «sous l’impulsion de… » et les noms d’obscurs « mécènes » du monde de la musique.

5. Vite, un rebond de la presse écrite !

Dans un échange sur Facebook avec d’autres confrères, l’encore président de l’Union nationale de la presse congolaise Kasonga Tshilunde confessait un état des lieux désespérant d’une presse malade à « ses deux jambes qui lui permettaient de marcher : l’aide de de l’État et la publicité ». Dans un autre post, Didier M’Buy alias Didi Mitovelli partageait le même constat.

Un constat sur ce constat : la non-prise en compte des recettes à la vente trahit une sorte de fatalité assumée, comme si tout le monde prenait acte de l’impossibilité de réaliser de gros tirages et des

recettes conséquentes qui vont avec. La pauvreté aggravée des populations ne saurait tout expliquer car les mêmes populations font gagner beaucoup d’argent aux fournisseurs d’internet pour accéder à différentes informations.

Les Congolais n’ont pas l’exclusivité de ce diagnostic. La presse française semble également dépendante des aides de l’État et de la publicité. Il est même arrivé de voir le gouvernement acheter, comme par hasard, de nombreuses pages de publicités à un journal en difficulté. Et pourtant, il existe une exception qui détonne dans ce paysage : l’hebdomadaire satirique « Le Canard enchaîné » qui paraît sur 8 pages, sans photos, sans publicité mais qui est constamment bénéficiaire depuis des décennies.

Pour se relever et espérer ensuite se relancer durablement, la presse écrite congolaise ne doit pas, d’emblée, renoncer à viser de gros tirages. La première ressource d’un journal est sa rédaction. Avec une production de qualité et adaptée au public cible, n’importe quel journal gagnera du lectorat et des annonceurs. De plus, aujourd’hui quasiment tous les titres complètent leurs éditions avec une offre numérique. Un journal comme le quotidien français « L’Équipe » compte beaucoup d’abonnés de sa version numérique, notamment à l’étranger, qui ne se seraient jamais abonnés à la version papier.

Jusqu’où doit aller ou peut aller l’État ?

Les aides dites « indirectes » de l’Etat consistent généralement à subventionner l’impression et la distribution des journaux ainsi que les déplacements des journalistes. À l’époque où l’État avait le monopole des transports par avion et par train, le transport des journaux pouvait être gratuit ou se faire à un coût très faible. Quant à l’aide à l’impression, elle avait fini par devenir une aubaine. Les éditeurs gonflaient artificiellement le tirage ; ainsi la mévente de leurs journaux ne les inquiétait pas car l’aide à l’impression était déjà une sorte de recettes garanties et tant pis si les invendus s’amoncelaient.

Comment conserver, aujourd’hui, les mêmes critères des aides de l’État dans un contexte qui a beaucoup changé ? Le train de vie des patrons de presse démontre que la presse parvient encore à générer des recettes intéressantes. Comment aujourd’hui maintenir ces aides sans se demander si d’autres secteurs ne les mériteraient pas tout autant ? Face, par exemple à un système de santé défaillant et à un enseignement au rabais, les hôpitaux et écoles privés seraient légitimes de demander autant, si pas plus. Les artistes qui diffusent le génie congolais à travers le monde ne comprendraient pas qu’ils ne bénéficient pas des mêmes avantages. Comment, par exemple, faire des rabais sur les billets d’avion aux journalistes et pas aux clubs de foot qui jouent la Linafoot ?

Plutôt que de se battre pour le rétablissement des aides de l’État, la presse doit repenser son modèle économique mais aussi le format des rédactions. L’avancée technologique permet, aujourd’hui, de recourir à moins de personnes pour produire et diffuser une information de qualité.

6. La condition sociale des journalistes

L’indépendance de la presse est très liée à la condition sociale des journalistes. La condition sociale miséreuse du journaliste congolais n’est plus un secret pour personne. Tout comme sa propension au «coupage», ce gênant pourboire que lui verse l’organisateur d’un événement ou un acteur politique, économique, culturel ou associatif dont il assure l’interview ou dont il couvre l’actualité. Un « plancher » salarial doit être fixé et gravé dans une convention collective de la branche. En 1988, jeune journaliste et syndicaliste, j’avais été signataire de la première convention collective de la presse imposée aux patrons de presse par le commissaire d’État Kande Dzambulate. Il faudrait réactualiser cette convention et l’imposer à nouveau.

Ainsi, avant d’accorder l’autorisation d’émettre ou de paraître, l’État devra exiger des patrons des médias qui la sollicitent de présenter les moyens financiers qui démontreraient qu’ils seront en mesure de rémunérer durablement, selon les termes de la convention collective, leurs personnels. À cet effet, une commission composée du syndicat des patrons de presse, des syndicats des journalistes et de l’UNPC vérifieront le respect de la convention collective.

Au-delà, les syndicats des patrons ou l’UNPC pourraient, par exemple, négocier avec des assurances ou des hôpitaux publics ou privés une sorte d’assurance maladie pour les journalistes, les employés des entreprises de presse et leurs familles.

7. Droits et devoirs des journalistes

Je n’ai jamais été partisan de la dépénalisation de tous les délits de la presse car certains librement commis par certains journalistes ont brisé des vies, des carrières professionnelles, politiques, sportives ou artistiques. Certaines victimes de délits de presse ont même été poussées au suicide.

Une fois cela dit, on ne devrait pas laisser l’ANR interpeller, interroger et embastiller des journalistes sous prétexte de diffamation. Le journaliste doit rester un justiciable comme tous les Congolais et les étrangers qui vivent en RDC.

Enfin, il serait temps que l’UNPC rédige une charte que s’engageraient à observer tous les détenteurs de la carte de presse en RDC. |Botowamungu Kalome, rédacteur en chef, AEM

Plan média pour la RDC (format PDF)